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Anas Salahat résistant et compagnon de lutte de Marwan Barghouti

samedi 17-mars-2018

Résistant aux côtés de Marwan Barghouti lors de l’Intifada al Aqsa Anas Salahat a été incarcéré quatre ans dans les geôles israéliennes. Il se confie sur son engagement et apporte sa vision de son ami Marwan Barghouti. Ce dernier détenu en Israël depuis plus de 15 ans est souvent perçu comme un « nouvel Arafat ». Actif à ses côtés Anas témoigne.
Le 28 septembre 2000 Ariel Sharon alors chef du Likoud (opposition conservatrice au Parti travailliste) se rend sur l’Esplanade du Temple lieu hautement symbolique pour le peuple palestinien. Ce dernier le vit comme une provocation faisant suite à la volonté sioniste de judéiser la mosquée d’Al-Aqsa. Réaction immédiate : la situation déjà tendue s’embrase. Dès le lendemain de premiers affrontements éclatent. Le Fatah prend rapidement la direction du soulèvement incarné notamment par Yasser Arafat et Marwan Barghouti. Incursions dans les zones palestiniennes meurtres de civils blocus mise-en-place de couvre-feux… Les Israéliens répriment la seconde grande révolte palestinienne dans le sang. En face les différents mouvements palestiniens s’engagent dans la lutte : Fatah OLP FPLP FDLP Tanzim Hamas Djihad islamique Palestinien brigade des martyrs d’Al-Aqsa se mobilisent. Leur but commun est la fin de la politique d’occupation de colonisation et d’apartheid imposée par le régime israélien depuis sa conquête des territoires palestiniens[1] en juin 1967.

Anas vous avez décidé de vous battre pour votre pays en prenant part à l’Intifada Al-Aqsa de 2000 à 2005. Comment avez-vous fait le choix de devenir résistant ?
J’étais à l’université quand la deuxième Intifada a éclaté. Je suis Palestinien et en tant que tel il me paraissait normal de m’engager aux côtés des autres combattants. Nous sommes un peuple sous occupation. Il est de notre devoir de résister. J’ai donc décidé de suivre un groupe de résistance avec Marwan Barghouti et j’ai pris part au conflit de cette manière.
En 2002 nos leaders ont décidé de stopper la résistance armée pour donner une chance à la voie politique et essayer la discussion. Nos leaders voulaient la paix et nous combattants respections leur décision. Pourtant Israël était encore à la recherche des résistants. De Naplouse j’ai alors été suivi jusqu’à Ramallah.

Vous avez-donc été capturé par les Israéliens ?
Oui. Avec des hommes de mon groupe de résistance nous devions nous rendre dans un immeuble de l’Autorité Palestinienne. Il y avait un accord quant à cette réunion mais Israël ne l’a pas respecté : les soldats sionistes sont entrés dans l’immeuble et ont procédé à des arrestations. Ils ont capturé les hommes présents et les ont emmenés pour les interroger avant de les placer en détention. Je faisais partie de ces hommes.

La question du traitement des prisonniers palestiniens est un des enjeux majeurs du conflit. Comment s’est passé votre temps en captivité ?
J’ai passé quatre années en captivité. Durant ce laps de temps j’ai séjourné dans six prisons différentes : on me changeait de geôle tous les huit mois car Israël m’avait jugé « dangereux ».
En prison nous sommes enfermés dans de petites cellules. Fréquemment nous sommes nus et ils nous fouillent. Trois fois par jour les prisonniers sont recomptés et inspectés à nouveau.
J’ai rencontré beaucoup de problèmes avec le Shabaas[2] car je me soulevais fréquemment pour les droits des prisonniers. Par exemple un jour j’ai vu le Na7shun[3] amener un détenu à son procès. Il s’agissait d’un jeune homme d’à peine 15 ans. Mais les soldats l’ont frappé et l’ont trainé au sol par les cheveux. À partir de cet incident j’ai décidé de mener une sorte de petite révolution au sein de la prison. Mais lorsque j’ai enfin réussi à parler avec le directeur on m’a transféré dans un autre centre de détention.
Quelques mois plus tard alors que j’étais encore incarcéré 18 soldats ont tenté d’entrer dans la partie de la prison dont j’étais responsable. Avec les prisonniers nous leur avons jeté des cannettes. Jugé coupable de cette rébellion j’ai été transféré dans une cellule d’isolement. Selon la loi je ne pouvais pas y rester plus de deux semaines… Mais les gardes m’y ont laissé croupir pendant 40 jours. Des organisations de défense des Droits de l’Homme ont commencé à s’intéresser à ma situation et une dame de l’organisation Mandela est venue me rendre visite. Ces soutiens m’ont permis de sortir de l’isolement.
Puis j’ai été envoyé dans la prison de Gilbo’a. Là les soldats ont décidé de faire porter aux prisonniers une combinaison orange semblable à celle utilisée à Guantanamo afin de nous assimiler à des terroristes. C’était très symbolique. Nous nous sommes soulevés contre cette mesure et nous avons résisté au sein de la prison. Nous ne sommes pas des terroristes nous ne pouvions pas accepter cela. Face à notre mobilisation les Israéliens ont cédé et la modification des tenues vestimentaires a été annulée.

Vos années passées en captivité vous ont-elles fait changer d’avis sur le conflit ? Regrettez-vous certains actes ?
Non je suis fier de ce que j’ai fait parce que je fais partie des milliers de Palestiniens qui se battent pour leur pays. Je suis heureux de ça et ce même si j’ai été contraint de perdre plusieurs années de ma vie en prison. Même en revenant en arrière je ne changerai rien. Nous vivons sous occupation : mon devoir est de résister. De plus nous nous battons pour nos droits c’est un combat juste. Nous ne faisons rien de mal. Alors je ne suis désolé de rien.

Pendant l’Intifada et par vos actions politiques qui ont suivies vous avez fréquenté Marwan Barghouti nouvelle icône de la lutte pour la libération de la Palestine. Mandela Arafat… : Barghouti est souvent comparé à de grandes figures des luttes contre l’oppression. Comment l’avez-vous connu et que pensez-vous de ces comparaisons ?
Marwan a été un des leaders de l’Intifada lancée par Yasser Arafat. Je l’ai connu à cette époque-là. Tous les Palestiniens résistent mais chacun choisi sa voie de résistance. Marwan grâce à son expérience s’est toujours battu sur différents plans : au Parlement à l’université avec les combattants pour les réfugiés pour les prisonniers… Son aspiration ultime est la libération de la Palestine.
Depuis son arrestation en 2002 il a été la cible d’Israël. Les sionistes font tout pour l’affaiblir… mais je pense que ça l’a rendu plus fort. Il est papa de quatre enfants – trois garçons et une fille- et depuis peu il est devenu grand-père d’une petite fille qu’il n’a jamais pu voir. Sa famille est confrontée à de grandes difficultés pour le rencontrer. Israël le punit ainsi et semble se venger du rôle qu’il incarne. Marwan le réalise. Je me souviens qu’après un an d’isolement il s’était confié à moi : « Je le fais pour payer notre liberté. »
Malgré sa captivité ses différents isolements forcés et la dureté du traitement qui lui est réservé il reste actif pour son pays et pour sa cause. Il continue à transmettre ses messages d’espoir et de courage. Par exemple il a créé au sein de la prison une sorte d’université pour que les Palestiniens continuent à se former : anglais sciences politique… Cela permet de faciliter la réinsertion de mettre à profit ses années de réclusion et de trouver une motivation et une voie de résistance.
Selon la plupart des Palestiniens il mérite d’être le futur leader de la Palestine : il a réussi à unir les différentes factions il a prouvé qu’il méritait notre confiance lors des deux Intifadas il s’est toujours battu aux côtés du peuple et n’a jamais laissé tomber ses hommes… Il connaît son rôle et son devoir malgré les difficultés qu’il encourt.

Marwan a incarné la grève de la faim de ce début d’année 2017. Outil politique déjà utilisé à plusieurs reprises en Palestine cette grève de la faim a-t-elle eu les résultats escomptés ?
Marwan discute beaucoup avec les autres prisonniers appartenant aux différents partis politiques. L’idée d’une nouvelle grève de la faim est venue de là. Il a ensuite écrit des lettres rendues publiques pour expliquer la grève et ses raisons. Leur but premier ? Obtenir le respect des droits de l’Homme au sein des geôles de l’occupation. Mais le but final de cette grève de la faim était d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la cause palestinienne. Auparavant les Palestiniens voulaient récupérer la Palestine originelle mais maintenant tout le monde réalise que ce n’est plus possible. Notre nouveau but c’est de faire en sorte que l’on n’oublie pas la question palestinienne et surtout rappeler aux gens que nous pouvons toujours agir pour contribuer à vaincre cette injustice. La grève de la faim n’a donc pas pour unique but la situation des prisonniers elle est une arme contre l’occupation de manière générale. Donc oui le résultat était là : Soutien quotidien manifestations grandes répercussions dans les médias internationaux. En parvenant à unir les différents partis dans cette grève de la faim Marwan a réussi un coup de force dont Israël est bien conscient.

Durant cette grève de la faim des images de Marwan Barghouti en train de manger en secret dans sa cellule ont été diffusées par Israël. Quelle répercussion cela a-t-il eu dans la lutte et dans l’opinion des Palestiniens ?
Nous n’y avons pas cru car nous nous y attendions. Depuis le premier jour les sionistes voulaient faire tomber Marwan. Ils voulaient qu’il perde la confiance aveugle que le peuple a placé en lui. Ils ont utilisé cette technique de vidéos trafiquées pour le salir. Mais malgré les mensonges à son égard Israël n’a pas réussi à la discréditer aux yeux des Palestiniens. Le peuple croit en lui et le suivra quoi qu’il advienne. Le fait que les Palestiniens n’aient pas cru à cette campagne de désinformation a été un symbole fort : plus que jamais l’image de Marwan a été consolidée et a uni le peuple palestinien.

Pensez-vous que les relations avec la communauté internationale soient devenues un enjeu majeur ou estimez-vous que le conflit se résoudra davantage de l’intérieur ?
Les associations internationales ont une importance capitale pour faire pression sur leur gouvernement respectif. Il faut faire en sorte que les différents gouvernements se tiennent aux côtés du peuple palestinien. Affaires droits de l’Homme liberté… Quel que soit le domaine un soutien permettrait de gagner du poids contre Israël.
En général les différents peuples se rallient à la Palestine tandis que les gouvernements soutiennent Israël. Nous avons par exemple une très bonne expérience avec les Français alors que votre gouvernement est davantage du côté sioniste… ce qui est d’ailleurs très paradoxal venant du « pays des Droits de l’Homme ».
Quoiqu’il en soit les Relations internationales ont un rôle central dans la résolution du conflit c’est certain. La situation ici est un problème international. En tant que Palestinien je demande le respect des droits de l’Homme. Et ces droits de l’Homme ne se limitent pas à la question palestinienne. Il s’agit d’un problème d’ordre mondial qui nous concerne tous : tout être humain est en droit de demander sa liberté et un État.

Il y a beaucoup de débats sur les résolutions potentiellement envisageables de ce conflit. Solution à un ou deux Etats ingérence de Puissances étrangères… Et vous quels sont vos espoirs ou vos volontés pour le futur ?
Je veux faire la paix car sans paix la résolution du conflit restera incomplète. Et surtout je veux récupérer la Palestine aux frontières de 1967 et en faire un seul Etat réservé aux Palestiniens. À l’heure actuelle nous n’avons aucune liberté sur notre propre sol : ce qu’il nous reste de pays est partagé en zones A B ou C. Là encore ce n’est pas notre choix.
L’ensemble du peuple palestinien est galvanisé par sa volonté de retour. Même si Israël cherche à tout conquérir nous voulons récupérer notre pays et surtout notre liberté.

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