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La campagne BDS est-elle un échec ?

samedi 3-novembre-2018

En mars dernier Natan Sharansky le président sortant de l’Agence juive déclarait que la campagne BDS (Boycott Désinvestissement et Sanctions) a été “presque totalement vaincue”. La déclaration de Sharansky intervenait deux ans après que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ait annoncé que BDS avait été «battu».
Les annonces prématurées sur “l’échec” de la campagne BDS ne sont pas l’apanage des responsables israéliens. Dans un récent article sur la tentative d’expulsion de l’étudiante américaine Lara Alqasem par les autorités israéliennes Anshel Pfeffer membre de la rédaction du quotidien [de centre-gauche] Haaretz – qui écrit également pour The Economist – a décrit le traitement de l’affaire par le ministre des Affaires stratégiques Gilad Erdan comme un exceptionnel stimulant pour la campagne BDS.
“Et quelle victoire pour le mouvement BDS et sa réalité virtuelle” écrivait Pfeffer pour qui “en 11 ans [sic] n’a pas réussi à obtenir quoi que ce soit d’autre que d’intimider quelques artistes pour qu’ils ne se produisent pas en Israël et d’obtenir de conseils locaux – qui n’ont jamais fait aucun investissement en Israël – d’en désinvestir”.
Le rejet d’une campagne mondiale de la société civile lancée il y a 13 ans sur base d’une aussi piètre information est assez typique de la prose de Pfeffer qui répète sans cesse le même message : le BDS est un échec et inefficace. Il n’est bien sûr qu’un journaliste mais ce qu’il exprime représente une vision plus large de BDS qui mérite une réponse.
La principale preuve avancée du prétendu échec de BDS est la robustesse de l’économie israélienne. Pfeffer par exemple a cité des études récemment publiées qui prétendaient démontrer que les dommages économiques causés à l’économie israélienne par la campagne BDS depuis 2010 sont «totalement négligeables».
Mais de telles données économiques correspondent-elles à “l’échec” du mouvement BDS ? En fait l’argument de Pfeffer va encore plus loin : la campagne a-t-elle eu si peu de résultats ?
Des décennies d’impunité
La campagne BDS a été lancée en 2005 par des dizaines d’organisations palestiniennes après des décennies d’impunité pour les violations systématiques du droit international et des droits de l’homme commises par Israël – violations commises dans le contexte d’une forme d’apartheid de colonialisme et d’occupation.
La campagne visait à obtenir une réponse de solidarité de la part de la société civile mondiale et l’isolement d’Israël jusqu’à ce que trois revendications précises soient concrétisées :
1.la fin de l’occupation
2.l’égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël et
3.le droit de retour des réfugiés palestiniens 1.
La campagne BDS est donc clairement «une stratégie de résistance à long terme» ainsi que l’explique Cherine Hussein spécialiste des relations internationales dans son livre «The Re-Emergence of the Single State Solution in Palestine/Israel» 2 paru en 2015. Il s’ensuit qu’une évaluation crédible de ses réalisations à ce jour devrait être fondée sur la mesure dans laquelle la campagne a contribué à la réalisation de ces exigences à long terme.
Je dirais que à court et à moyen terme la campagne BDS vise trois objectifs :
1.un changement de discours
2.la promotion de la responsabilité et
3.l’isolement croissant d’Israël.
Depuis 2005 des progrès ont clairement été réalisés sur les trois fronts.
En ce qui concerne un changement de discours BDS a eu un impact significatif y compris dans des contextes où BDS n’est pas adopté ou fait même face à une opposition explicite. En 2015 réfléchissant sur les progrès du mouvement le co-fondateur Omar Barghouti a identifié le “rôle critique” de BDS dans «l’évolution du discours sur la question de la Palestine après plus de deux décennies d’un “processus de paix” frauduleux qui a sapé les droits des Palestiniens et a été utilisé comme une feuille de vigne pour l’expansion et l’enracinement du régime israélien d’occupation de colonialisme de peuplement et d’apartheid».
Noura Erakat juriste et militante des droits humains étatsunienne a déclaré qu’après une décennie de militantisme en solidarité avec la Palestine aux États-Unis milieu dans laquel le lancement de l’appel BDS avait provoqué une division elle a noté qu’en général la plupart des campagnes de boycott et de désinvestissement ne peuvent démontrer l’impact de leur travail. en unités mesurables. Mais a-t-elle poursuivi “la vertu du BDS réside dans sa capacité à défier l’autorité morale d’Israël l’arme la plus convoitée de son arsenal”.
Le BDS a également pour objectif de promouvoir le principe et la pratique de la responsabilité un défi direct à l’impunité dont jouissent les autorités israéliennes depuis des décennies.
“Lorsque nous demandons aux institutions et aux organisations de se désengager des entreprises impliquées dans les crimes israéliens nous ne demandons rien d’héroïque” a déclaré Omar Barghouti en 2015. “Nous demandons simplement à ces organisations de s’acquitter d’une obligation morale fondamentale. C’est la logique éthique et convaincante de BDS et c’est un facteur essentiel de la croissance impressionnante du mouvement”.
Des développements positifs
Dans une analyse approfondie du mouvement BDS pour The Guardian publiée en août Nathan Thrall du International Crisis Group a expliqué comment les organisations internationales “ont été influencées par le mouvement BDS pour passer progressivement de condamnations inefficaces à des appels à des mesures concrètes plus énergiques”.
Thrall a souligné l’appel lancé par Amnesty International en 2017 «pour une interdiction mondiale des produits des colonies peuplement et un embargo sur les armes imposé à Israël et aux groupes armés palestiniens» tandis que Human Rights Watch a «appelé les investisseurs institutionnels dans les banques israéliennes à veiller à ce qu’elles ne contribuent pas à favoriser des colonies et autres violations du droit international».
Enfin s’agissant de l’isolement progressif d’Israël dans différents domaines – économique culturel universitaire etc – la campagne BDS a également eu un impact manifeste chaque année apportant des développements positifs (voir par exemple: ces résumés pour 2017 et 2016).
“Comparée à la campagne qui a duré plusieurs décennies en Afrique du Sud la progression [de BDS] a été plutôt rapide” a conclu Thrall même compte tenu de l’absence jusqu’à présent d’un “impact économique majeur sur Israël”.
«Les investisseurs institutionnels tels que le fonds de pension néerlandais PGGM et l’Église méthodiste unie se sont retirés des banques israéliennes» écrit-il. «L’Église presbytérienne l’Église unie du Christ et le plus grand fonds de pension privé de Norvège se sont retirés des sociétés qui tiraient profit de l’occupation israélienne. Et de grandes entreprises telles que Veolia Orange G4S et CRH se sont totalement ou majoritairement retirées d’Israël à la suite de campagnes de boycott”.
Thrall a également souligné la manière dont “des dizaines de parlements des étudiants et de nombreuses associations universitaires ont approuvé des initiatives de boycott et de désinvestissement. Et de nombreux musiciens et artistes ont annulé des spectacles ou se sont engagés à boycotter le pays” 3.
D’innombrables victoires
Ces innombrables victoires et soutiens témoignent en partie du bon sens stratégique des organisateurs palestiniens du mouvement BDS qui encouragent et promeuvent des campagnes «adaptées au contexte».
Dans son livre susmentionné Hussein a souligné le rôle important du fait que BDS se décrit lui-même comme «un simple programme d’action dans le cadre duquel les partisans européens et nord-américains de la libération palestinienne pourraient canaliser leur énergie et leurs activités en solidarité avec le peuple palestinien».
Tous les opposants de BDS ne sont pas aussi obstinément mal informés que Pfeffer.
En 2010 le groupe de réflexion israélien l’Institut Reut a reconnu le pouvoir du BDS de susciter «des critiques de plus en plus sévères [d’Israël] dans le monde entier entraînant une érosion de son image internationale et un prix stratégique tangible». Cinq ans plus tard les «avancées notables… faites contre Israël» en 2010 s’étaient transformées en un mouvement BDS «prenant de l’ampleur dans le monde entier».
En 2017 en outre un rapport conjoint de l’Institut Reut et de la Anti-Defamation League 4 reconnaissait qu’aux boycotts explicites s’ajoute “un dommage collatéral plus répandu [qui] se présente sous la forme d’un boycott silencieux – des décisions non déclarées d’organisations d’entreprises et de particuliers des entités motivées par une idéologie ou simplement par le désir d’éviter des problèmes et des critiques inutiles”.
Compte tenu de la quantité abondante de preuves concernant à la fois les objectifs de la campagne BDS et sa croissance régulière comment peut-on en conclure que le mouvement est “un échec” ?
Premièrement il s’agit d’un mouvement populaire et en tant que tel peut être plus facilement négligé par ceux qui “ne voient” que ce qui se passe aux niveaux des milieux dirigeants de la prise de décision politique et de la diplomatie de l’élite. Deuxièmement la croissance de BDS en tant que phénomène véritablement mondial échappe également aux analystes occidentaux (ou étatsuniens ou encore britanniques) peu ouverts sur le reste du monde.
Mais BDS est fondamentalement un appel à la solidarité lancé par les Palestiniens un fait qui est de manière révélatrice souvent omis dans les propos condescendants de Pfeffer et de ceux qui partagent ses vues.
Ainsi outre le fait de ne pas tenir compte de centaines de réussites du BDS et de trahir une incompréhension fondamentale de ce qu’est en réalité le BDS ces accusations d’échec trahissent avant tout un profond dédain pour les Palestiniens qui réclament et accueillent une forme vitale de solidarité.

Notes

1. Droit qui leur a été reconnu par l’ONU (La résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée le 11 décembre 1948 puis confirmée par plusieurs résolutions comme la résolution 394 ou la 513 affirme que «il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins» et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque en vertu des principes du droit international ou en équité cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables. Le 22 novembre 1974 l’Assemblée générale des Nations unies adopta la résolution 3236 qui réaffirme le «droit inaliénable des Palestiniens de retourner dans leurs foyers et vers leurs biens d’où ils ont été déplacés et déracinés et demande leur retour» et le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.) – NDLR
2. La ré-émergence de la solution à un seul État en Palestine/Israël –  – NDLR
3. Le mouvement BDS a un impact particulièrement important dans les universités aux États-Unis y compris parmi les étudiants juifs. Ceci préoccupe particulièrement les milieux sionistes dans la mesure où c’est là que sont formées les élites dirigeantes étatsuniennes de demain et où la dépendance économique militaire et financière d’Israël vis-à-vis des États-Unis est pratiquement absolue – NDLR
4. ADL : organisation de “défense” des Juifs aux États-Unis connue pour disposer de moyens matériels très considérables et pour exagérer grossièrement dans sa propagande pro-Israël. C’est encore au Centre Communautaire Laïc Juif (Bruxelles) qu’on en parle le mieux !  – NDLR
5. Le mot prend ici le sens qu’on lui donne aux États-Unis à savoir “la gauche” (si tant est que cette notion ait un sens là-bas) les “progressistes”. Cela recoupe aussi grosso modo l’électorat du Parti Démocrate et il faut rappeler que si Trump a été élu lors de la dernière élection présidentielle la candidate “Démocrate” H. Clinton avait obtenu à l’échelle nationale 2.868.000 voix de plus que lui. – NDLR

Cet article a été publié le 1er novembre 2018 par Middle East Eye ( en anglais).
Traduit et adapté par Luc Delval (ainsi que l’encadré concernant Israël et l’opinion publique aux USA)
Ben White est un journaliste dont les travaux ont été notamment publiés dans le quotidien britannique The Guardian dans The New Statesman ainsi que par Al Jazeera et Electronic Intifada. 

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages concernant Israël et la Palestine dont Israeli Apartheid (Ed. Pluto Press – 2009) et de « Être Palestinien en Israël » (Ed. La Guillotine – 2015)

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