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Bassem Tamimi : « Nous ne demandons pas des pleurs mais quon soppose à loccupation israélienne »

mardi 7-août-2018

Peu avant la libération de la jeune combattante de la résistance Ahed Tamimi (17 ans) Red Fox et Comac les mouvements de jeunesse du PTB étaient en voyage de solidarité en Palestine. Ils ont rencontré son père Bassem Tamimi dans le village de Nabi Saleh.

Votre fille Ahed a été arrêtée le 17 décembre 2017 parce qu’elle avait giflé au visage un soldat israélien qui était entré chez vous. Que faisait-il là ?
Bassem Tamimi. Notre village est sur le point de disparaître du fait que de plus en plus de gens sont chassés de chez eux par l’armée israélienne. Avec les accords d’Oslo (de 1993 NdlR) la Cisjordanie a été divisée en trois séries de zones. Les zones C sont administrées par Israël les B sont sous l’administration commune des autorités israéliennes et palestiniennes et les A dépendent uniquement de l’Autorité palestinienne. Ainsi donc 60 % de notre terre est aux mains d’Israël. C’est-à-dire 60 % de notre revenu de notre eau de notre soleil de notre existence.
Nabi Saleh se trouve en zone C. Pour pouvoir étendre plus encore les colonies juives Israël travaille selon des quotas de destruction. Chez nous treize habitations risquent d’être détruites. Dont la mienne. Treize maisons c’est 80 % de notre village 22 familles qui vont devoir se loger ailleurs. Mais nous restons. Et ils viennent donc nous harceler en brisant nos vitres et en aspergeant nos intérieurs d’eau sale et puante. Nous n’osons pas faire de transformations à notre maison car il y a beaucoup de risque qu’elle soit détruite. Nos enfants déménagent quand ils sont en âge de le faire ils vont en zone A et B même si le logement y est bien plus cher. Et si nous mourons notre maison restera vide. Ils nous chassent quand même de notre terre en fin de compte.
Lors des nombreuses protestations pour conserver notre terre bien des gens autour de moi sont morts ou ont été emprisonnés. Mon beau-frère est mort pendant que ma femme le filmait. Cela lui a été très pénible psychologiquement [il se tait un instant NdlR] mais elle a continué afin que le monde puisse voir ce que nous subissons. Pour l’instant ma femme est en prison (elle a été libérée avec Ahed entretemps NdlR) mon fils aussi. Et après ça ils se demandent pourquoi Ahed a frappé un soldat au visage ? Nous devons gifler les soldats. Nous devons fustiger tous les aspects de l’occupation. Et voilà maintenant que depuis décembre Ahed est en prison elle aussi.
Nous recevons de l’eau durant 13 heures par semaine. C’est pour cela que nous avons tant de réservoirs d’eau sur le toit : pour économiser l’eau. Nous recevons environ un cinquième de ce que les colons reçoivent. Les colonies sont vertes et chez nous il fait sec parce que nous n’avons pas d’eau pour l’irrigation. Quand j’étais gamin il y avait un chemin dans cette vallée beaucoup d’arbres fruitiers et de légumes parce que nous utilisions les sources d’eau. Mais aujourd’hui ce sont les Israéliens qui contrôlent ces sources et de plus ils ont détruit les canalisations servant à l’irrigation. Ils veulent expulser les Palestiniens de la zone. C’est le moyen auquel Israël recourt. La force. Ils imposent leur puissance.
Je suis né en 1967 sous l’occupation. J’ai vécu toute ma vie sous l’occupation. Je suis allé neuf fois en prison. En détention administrative donc sans avoir rien fait. Ils n’ont que des soupçons. Au bout d’un mois ils m’ont libéré. Le jour même où ils ont tué ma sœur. L’armée voulait arrêter son fils et elle a essayé de l’empêcher. Un groupe de colons l’ont alors repoussée et elle est tombée de l’escalier. Devant les yeux des militaires qui n’ont pas bougé. Son fils de 12 ans a vu mourir sa maman.
C’est mon histoire personnelle mais elle n’a rien d’exceptionnel. Chaque Palestinien peut vous raconter une histoire de ce genre. Nous souffrons tous. Notre famille représente peut-être la souffrance palestinienne mais nous n’avons rien d’exceptionnel. Ce que nous voulons c’est que pas une seule famille palestinienne ne se taise sous l’occupation.

Concrètement que signifie l’occupation israélienne pour vous ?

Bassem Tamimi. Tous les Palestiniens sont occupés. Si vous vivez dans la peur si vous avez tout le temps peur de quelque chose vous êtes occupé. Nous voulons mettre un terme à cette occupation et non la rendre supportable. Comment définissez-vous « souffrir » ? Nous souffrons de tout. Ahed dit toujours qu’Israël a anéanti ses rêves. Sans l’occupation elle serait devenue footballeuse mais maintenant elle doit aller étudier le droit. Dans votre vie vous pouvez faire des plans pour autant que votre vie soit stable mais je ne peux même pas regarder deux minutes vers l’avant. Parfois je ne peux même pas me rendre à Ramallah parce qu’ils ont fermé les check-points. Voilà comment nous vivons.
Nous ne souffrons pas de la discrimination mais de l’occupation. Israël n’est pas le seul problème. Israël est une partie du problème en Palestine. Israël est le gardien de la colonisation de l’impérialisme de l’industrie militaire et du capitalisme dans le monde entier. C’est pourquoi nous avons le même ennemi : le système économique.
Il ne s’agit nullement d’un problème religieux. Nous nous battons contre l’occupation et nous sommes opposés à ce régime. Récemment Ahed et moi sommes allés visiter l’Afrique du Sud. Durant des décennies l’Afrique du Sud a combattu l’apartheid mais pas la colonisation des Britanniques. C’est pourquoi ils ont perdu car il n’y a toujours pas de justice. En Afrique du Sud il n’y a pas de redistribution de la richesse. Plus de 60 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Il n’y a pas de classe moyenne il y a un fossé énorme entre pauvres et riches.
Ce n’est pas tellement la démocratie que je désire mais la justice l’équité. C’est pourquoi je ne parle pas d’apartheid en Palestine. Nous ne voulons pas rendre l’occupation supportable nous voulons la faire cesser. Et dès que la colonisation sera terminée nous devrons diriger ce pays à partir de nos valeurs morales et des problèmes réels. La Palestine sera un État laïque sans la moindre forme de discrimination.
Je ne vois pas d’avenir pour Israël tant qu’il occupera notre terre. Aujourd’hui deux tiers des Palestiniens vivent en réfugiés mais ils ont droit à cette terre.

Comment voyez-vous l’avenir de la Palestine ?

Bassem Tamimi. Les accords d’Oslo nous ont donné de l’espoir mais ensuite il ne s’est rien passé. Pour nous c’est une deuxième Nakba (la catastrophe de 1948 quand selon l’ONU quelque 750 000 Palestiniens ont été chassés de leurs terres NdlR) parce que depuis l’espoir s’est rompu. C’est pourquoi j’ai modifié ma vision de l’avenir de la Palestine. Nous devons modifier l’image des Palestiniens nous sommes des combattants de la liberté pas des terroristes. Ce n’est que via la résistance populaire que nous allons libérer la Palestine. À deux moments de notre histoire ça a presque réussi : en 1936 et en 1978. C’est notre histoire notre culture. Nous voulons convaincre notre société non pas en parlant mais en construisant un modèle dans la pratique. En montrant que c’est faisable et comment.
Le mur qui entoure la Cisjordanie détruit l’agriculture les maisons la vie quotidienne. Les gens se sont mis à s’organiser. Mais le problème n’est pas tellement le mur. Les gens ne doivent pas avoir cette impression. Le problème c’est la colonisation et la façon dont elle définit nos existences.
Détruire le mur n’est pas le but nous voulons nous ici à Nabi Saleh mettre sur pied un modèle de résistance. Nous avons décidé de mettre les femmes plus en avant. Le rôle des femmes est important car les femmes constituent la moitié de la population et la moitié de notre force. Nous ne pouvons pas parler de résistance sans les femmes. Nous voulons une génération libre qui puisse délivrer la Palestine. Dans dix ans nous fêterons la libération de la Palestine à la côte. Elle n’est qu’à 30 km d’ici et pourtant mes enfants ne l’ont encore jamais vue !
Je vois beaucoup de larmes mais nous en avons déjà plus qu’il n’en faut avec tous ces gaz lacrymogènes dont ils nous aspergent. L’émotion doit être un état d’âme et cet état d’âme vous devez l’engager vers le changement. Vous êtes la génération de l’avenir donc combattez dès maintenant pour l’avenir. Les riches dominent l’existence des gens. Ils ont volé la liberté des gens. C’est pourquoi nous sommes tous occupés. Ahed m’a demandé un jour : « Qu’est-ce que l’occupation ? » C’est la peur. Si vous avez peur c’est de l’occupation. Et ils nous font avoir peur de notre avenir. C’est le capitalisme. C’est pourquoi nous devons mondialiser notre combat. Et unir notre combat contre le capitalisme. Ici Israël en est son visage. Nous devons commencer à partir de la Palestine à apporter la paix au monde. Il n’y aura pas de paix dans le monde tant qu’Israël continuera à occuper la Palestine. C’est pourquoi la troisième intifada sera internationale.

https://solidaire.org

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