Tue 25-June-2024

Ma fille ce sont des larmes de lutte

samedi 30-décembre-2017

Cette nuit aussi comme toutes les nuits depuis que des dizaines de soldats ont envahi notre maison au milieu de la nuit mon épouse Nariman ma fille de 16 ans Ahed et Nur la cousine d’Ahed vont la passer derrière les barreaux. Même si c’est la première arrestation d’Ahed vos prisons ne lui sont pas inconnues.
Ma fille a passé sa vie entière sous l’ombre pesante de la prison israélienne – depuis mes longues incarcérations pendant son enfance aux arrestations répétées de sa mère à celles de son frère et de ses amis en passant par la menace implicite que représente la présence permanente de vos soldats dans nos vies. Son arrestation était donc juste une question de temps. Une tragédie inévitable qui nous guettait.

Il y a plusieurs mois lors d’un voyage en Afrique du Sud nous avons projeté en public une vidéo documentant la lutte de notre village Nabi Saleh contre la domination d’Israël qui nous est imposée. Quand la lumière est revenue Ahed s’est levée pour remercier les gens de leur soutien. Après avoir remarqué que certains dans l’assistance avaient les larmes aux yeux elle leur a dit ceci : « Nous sommes peut-être victimes du régime israélien mais nous sommes aussi fiers de notre choix de lutter pour notre cause malgré le coût que l’on sait. Nous savions où ce chemin nous conduirait mais notre identité en tant que peuple et en tant que personnes est ancrée dans la lutte et elle en tire son inspiration. Au-delà de la souffrance et de l’oppression quotidiennes des prisonniers des blessés et des tués nous connaissons aussi le pouvoir immense qui nous vient de notre appartenance à un mouvement de résistance ; le dévouement l’amour les petits moments sublimes qui viennent de notre choix de briser les murs invisibles de la passivité.

« Je ne veux pas être perçue comme une victime et je n’accorderai pas à leurs actions le pouvoir de définir qui je suis et ce que je serai. J’ai choisi de décider par moi-même comment vous me verrez. Nous ne voulons pas que vous nous souteniez à cause de quelques larmes photogéniques mais parce que nous avons fait le choix de la lutte et que notre lutte est juste. C’est la seule façon de pouvoir arrêter de pleurer un jour ».

Des mois après ces faits en Afrique du Sud quand elle a défié ces soldats armés de la tête aux pieds ce n’était pas une colère soudaine devant les graves blessures que Mohammed Tamimi 15 ans avait reçues juste avant à seulement quelques mètres qui l’aurait motivée. Ce n’était pas davantage la provocation de ces soldats pénétrant dans notre maison. Non. Ces soldats ou d’autres identiques dans leur action et leur rôle sont des indésirables et des intrus dans notre maison depuis qu’Ahed est née. Non. Elle s’est tenue là devant eux parce que c’est notre chemin parce que la liberté n’est pas donnée comme une aumône et parce qu’en dépit de son coût élevé nous sommes prêts à la payer.

Ma fille a juste 16 ans. Dans un autre monde dans votre monde sa vie serait complètement différente. Dans notre monde Ahed est une représentante d’une nouvelle génération de notre peuple de jeunes combattants pour la liberté. Cette génération doit mener sa lutte sur deux fronts. D’un côté ils ont le devoir bien sûr de poursuivre le défi et le combat contre le colonialisme israélien dans lequel ils sont nés jusqu’au jour de son effondrement. De l’autre ils doivent affronter avec hardiesse la stagnation et la dégradation politiques qui se sont répandues parmi nous. Ils doivent devenir l’artère vivante qui fera revivre notre révolution et qui la sortira de la mort entraînée par une culture croissante d’une passivité inhérente à des décennies d’inactivité politique.

Ahed est l’une de ces nombreuses jeunes femmes qui dans les années qui viennent conduiront la résistance à la domination israélienne. Elle n’est pas intéressée par les projecteurs actuellement braqués sur elle à cause de son arrestation mais par un véritable changement. Elle n’est pas le produit de l’un des vieux partis ou mouvements et dans ses actions elle envoie un message : pour survivre nous devons faire face franchement à notre faiblesse et vaincre nos peurs.

Dans cette situation notre plus grand devoir à moi et à ma génération est de la soutenir et de laisser la place ; de nous maîtriser et ne pas essayer d’altérer et emprisonner cette génération nouvelle dans la vieille culture et les vieilles idéologies dans lesquelles nous avons grandi.

Ahed aucun parent au monde ne désire voir sa fille passer ses jours en cellule de détention. Cependant Ahed aucun ne peut être plus fier que moi je le suis de toi. Toi et ta génération vous avez assez de courage finalement pour gagner. Vos actions et votre courage me remplissent d’une crainte mêlée d’admiration et me font venir les larmes aux yeux. Mais conformément à ta demande ce ne sont pas des larmes de tristesse ni de regret mais plutôt des larmes de lutte.

Article original en anglais paru sur Ha’aretz le 29.12.2017 (réservé aux abonnés)

http://www.aurdip.fr

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