Fri 5-July-2024

Un prix pour les sans-voix de Gaza

mardi 10-juin-2008

Le siège de Gaza a de nombreuses strates. Je travaille comme journaliste au milieu des attaques israéliennes par air et au sol quasi quotidiennes au milieu des massacres interminables et des destructions des terres et des moyens d’existence que la pénurie critique de fuel de nourriture de médicaments d’électricité pour les appareils médicaux et l’électricité pour mon travail rendent encore plus insupportables.

Récemment je suis revenu d’un travail sur le terrain pour trouver les joyeuses nouvelles de John Pilger j’avais remporté le Prix du Journalisme Martha Gellhorn 2008 avec mon collègue respecté Dahr Jamail.

C’est la meilleure nouvelle que j’ai reçue depuis des mois. Alors que j’écris je suis toujours ravi et honoré d’une telle reconnaissance. Mais depuis ces premières minutes pendant lesquelles on m’expliquait que je devais être à Londre le 16 juin pour recevoir mon prix mes pensées galopent cherchant un moyen de sortir de Gaza.

Comment puis-je sortir alors qu’Israël n’autorise même pas les cas médicaux les plus urgents à sortir pour un traitement une décision qui selon le Ministère de la Santé de Gaza a causé la mort de plus de 165 personnes ?

Les réalités des frontières bouclées et du siège m’ont dégrisé transformant mon euphorie en pragmatisme. La vérité c’est que nous les 15 millions de citoyens de Gaza ne sommes pas libres de quitter notre prison. Le camp de réfugiés de Rafah au sud de la Bande de Gaza est ma ville natale à laquelle j’appartiens et où je vis depuis 23 ans avec mes six frères ma sœur mes parents et notre famille élargie.

A l’origine ma famille est venue de Yebna un village près de Tel Aviv un parmi tant d’autres que les gens ont dû quitter en 1948. J’ai été le témoin du massacre d’innocents et des démolitions de maisons à Rafah. C’est pourquoi à 17 ans j’ai senti que je devais devenir journaliste. Au début je ne pouvais pas faire beaucoup plus qu’observer. Je n’avais pas d’appareil de photo pas d’ordinateur juste un petit carnet de notes dans lequel j’écrivais ce qui se passait. J’écrivais des articles et je les gardais pour moi comme souvenirs.

Ce carnet est enseveli sous les décombres de notre maison démolie. Un jour en mars 2003 je suis revenu chez moi dans les gravats de ce qui avait été ma maison ravagée par les bulldozers israéliens. Ils faisaient de la place pour le Mur de Fer d’Israël qui sépare Gaza de l’Egypte. Tout ce qui était matériel a été détruit lors de cette démolition. Les énormes bulldozers de l’armée ont aspiré les deux étages de notre maison avalé nos livres nos meubles nos vêtements et tous ces objets quotidiens précieux pour notre famille. Deux choses sont restées : le souvenir et l’espoir. Le souvenir du passé et l’espoir de l’avenir.

La plupart de mes frères ont été blessés par les forces israéliennes au cours des invasions. Un a été tué. Notre maison est située près de la frontière de Gaza. Jusqu’à 2005 lorsque les troupes israéliennes se sont techniquement retirées de Gaza nos voisins étaient les tanks et les bulldozers israéliens. Nous avons vécu sous occupation et ainsi j’ai continué à écrire à joindre des journaux et des magazines internationaux partout dans le monde.

A mon grand étonnement et dépit même les médias locaux ne rapportaient pas la réalité. La presse internationale n’a rien couvert des démolitions et des massacres quotidiens à Gaza. Au contraire ces injustices ont rencontré des oreilles sourdes ou des rapports à l’évidence faux.

Mon ambition fut de faire sortir la vérité non pas en tant que pro-palestinien ou anti-israélien mais en tant que voix et témoin indépendant posant des questions et défiant la compréhension internationale. Je voulais donner une voix aux morts réduits au silence et aux gens ordinaires qui continuent à se battre : les étudiants les fermiers les enseignants les enfants les malades les réfugiés etc. Je voulais offrir leurs paroles et leurs histoires aux lecteurs d’Europe et d’Amérique du Nord.

L’année dernière j’ai été invité aux Pays Bas pour une tournée de conférence. D’une manière incroyable j’ai pu sortir de Gaza par Israël et le Pont Allenby de Jordanie plutôt que par le terminal de Rafah qu’il était impossible de traverser bien qu’il soit à quelques minutes de chez moi. J’ai réussi grâce à l’aide de Hans van Ballen un membre du parlement danois.

Aujourd’hui recevoir le prix Martha Gellhorn un immense honneur est une raison supplémentaire d’essayer de sortir de Gaza une fois de plus. Cependant je crains qu’il ne me soit impossible d’exprimer ma gratitude en personne aux organisateurs et à ceux qui m’ont soutenu.

Mais récompense ou non je continuerai à dire la vérité sur Gaza dans l’espoir qu’un jour nous serons libérés de ce siège mortel et que nous pourrons voyager comme n’importe quel être humain.  
 
  Source : IMEMC   
  Traduction : MR pour ISM 

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