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Les deux visages de la justice israélienne

mardi 31-juillet-2018

Ils ont tous deux été libérés après huit à neuf mois de détention lui le militaire israélien pour un meurtre elle l’adolescente palestinienne pour une gifle.
Ils ont tous les deux été récemment libérés après neuf mois de détention pour le premier huit mois pour la seconde. C’est bien leur seul point commun. Lui le sergent Elor Azaria a été reconnu coupable d’avoir achevé de sang-froid en mars 2016 à Hébron un assaillant palestinien qui gisait déjà à terre grièvement blessé. Elle Ahed Tamimi était accusée d’avoir bousculé en décembre 2017 deux militaires israéliens ayant pénétré dans la maison familiale en Cisjordanie occupée. Lui âgé aujourd’hui de 22 ans est né dans la ville de Ramla dans le centre d’Israël. Elle née en 2001 dans le village palestinien de Nabi Saleh a fêté son dix-septième anniversaire en prison.

DEUX POIDS DEUX MESURES

Le procès du sergent Azaria a provoqué une véritable tempête en Israël. La hiérarchie militaire s’est retrouvée dans la position paradoxale de devoir recommander un verdict sévère alors que le Premier ministre Netanyahou et ses alliés plaidaient la clémence. Aux généraux qui souhaitaient par une condamnation exemplaire rappeler à leurs subordonnés les règles élémentaires de la discipline et de la morale les politiciens de droite et d’extrême-droite opposaient leur surenchère ultra-nationaliste en phase avec les quelques centaines de colons implantés au coeur de Hébron. Des échauffourées sérieuses éclatent même en janvier 2017 devant le tribunal militaire de Jaffa entre partisans d’Azaria et police anti-émeutes.
Avant même que la sentence ne soit prononcée Netanyahou en appelle à la grâce d’Azaria. Mais ce privilège régalien est du seul ressort du président d’Israël Reuven Rivlin un des piliers historiques du Likoud devenu aujourd’hui un des rares contre-pouvoirs face au chef du gouvernement. Rivlin soucieux avant tout de protéger l’état-major refuse tout geste de clémence. La peine retenue pour un simple « homicide » l’accusation initiale de « meurtre » ayant été requalifiée est pourtant bien légère: dix-huit mois de prison. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme dénonce un verdict « inacceptable » qui ne peut qu’encourager la « culture de l’impunité » des troupes d’occupation. Du fait de différents recours Azaria ne purge que la moitié de la peine prononcée. Il est libéré en mai 2018 après neuf mois d’incarcération.

A CHACUN SON ICONE

Alors que l’opinion israélienne se divise profondément sur le cas Azaria elle soutient majoritairement la sévérité à l’encontre d’Ahed Tamimi emprisonnée en même temps que sa mère après la diffusion virale d’une vidéo où elle tente de repousser deux militaires israéliens hors de chez elle. Il en va pour de nombreux décideurs et commentateurs de « l’honneur » de Tsahal qu’aurait défiée cette adolescente palestinienne. L’engagement non-violent d’Ahed et de la famille Tamimi ne suffit pas à racheter leur résistance opiniâtre à l’occupation stigmatisée comme une nouvelle forme de « terrorisme » un amalgame bientôt systématisé à l’encontre des marcheurs de la bande de Gaza. Les pressions exercées sur la jeune détenue la contraignent à plaider coupable face à la justice militaire en contrepartie d’un allègement de sa sentence réduite à huit mois de prison.
Ce procès met en lumière à la fois les violences infligées aux mineurs palestiniens par l’occupation israélienne et la mécanique implacable d’une justice d’occupation qui condamne 99% des prévenus palestiniens. Ahed Tamimi et sa mère sont détenues en territoire israélien en violation du droit international qui interdit le transfert d’un détenu par les troupes d’occupation. Elles viennent toutes deux d’être libérées après avoir purgé l’intégralité de leur peine. Les autorités israéliennes ont tout fait pour atténuer l’impact médiatique de cette libération. Elles ont même brièvement incarcéré deux Italiens et un Palestinien qui travaillaient à une fresque de l’adolescente sur le Mur israélien (photo ci-dessus) à Bethléem non loin de l’hôtel ouvert par Banksy en 2017.
Aucune entrave n’a en revanche été mise au retour d’Elor Azaria le 3 juillet 2018 sur le lieu de son crime à Hébron. Il y a été ovationné par des colons qui lui attribuent l’arrêt des attaques au couteau dans cette cité palestinienne. Il est vrai que ces mêmes colons continuent de révérer au-dessus de la ville de Hébron la tombe d’un des leurs Baruch Goldstein lynché après avoir massacré 29 Palestiniens en prière dans la mosquée d’Abraham en février 1994. C’est ainsi que les emprisonnements comparables par leur durée d’Azaria et de Tamimi ne nous apprennent pas seulement beaucoup sur le deux poids deux mesures d’une justice d’occupation. Ils révèlent aussi la profondeur du fossé qui semble se creuser inexorablement entre les sociétés israélienne et palestinienne à l’image d’Elor et d’Ahed célébrés par les uns traînés dans la boue par les autres.

ean-Pierre Filiu est professeur des universités en histoire duMoyen-Orient contemporain à Sciences Po (Paris).Il a aussi été professeur invité dans les universités de Columbia (NewYork) et de Georgetown (Washington). Ses travaux sur le mondearabo-musulman ont été diffusés dans une douzaine de langues.Il a aussi écrit le scénario de bandes dessinées en collaboration avecDavid B. ou Cyrille Pomès ainsi que le texte de chansons mises enmusique par Zebda ou Catherine Vincent.Il est enfin l’auteur de biographies de Jimi Hendrix et de Camaron de laIsla.

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