Mon 8-July-2024

Sur le 70e anniversaire de la Nakba : les réflexions d’un réfugié palestinien

jeudi 17-mai-2018

Cette année marque le 70e anniversaire de la Nakba ce processus de nettoyage ethnique mis en œuvre par les milices sionistes en Palestine et qui a entraîné le déplacement et la dépossession de plus de 750 000 Palestiniens et notamment de ma propre famille.
Je ne limiterai pas mes réflexions à des concepts et des théories abstraits je vais évoquer la réalité telle que nous la vivons et la comprenons sur le terrain à Gaza et dans la diaspora. Nous Palestiniens sommes pleinement conscients du fait que nous sommes les victimes d’une question historique qui a impacté la vie de beaucoup et qui a polarisé le discours sur la paix et la sécurité internationales.
Mais ce que nous avons appris de l’histoire de la création de l’État c’est qu’il n’est pas aisé de maintenir un État qui se fonde et se base sur une injustice historique et le déni des libertés universelles. L’histoire des États est parsemée d’exemples de peuple utilisant toutes sortes de moyens de résistance dans la défense de leurs droits de l’homme universels et de leurs libertés fondamentales. Nous Palestiniens sommes privés des deux ! D’où notre résistance depuis des décennies à multi-facettes : lutte armée résistance populaire BDS etc.
Il y a huit ans j’écrivais un article dans lequel je citais l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Il ne dit pas cependant « à l’exception des Palestiniens ». Mais nous les 12 millions de Palestiniens savons très bien que nous sommes l’exception à cette règle. Que nous soyons des Palestiniens citoyens d’Israël des Cisjordaniens et de Gazaouis ou des réfugiés de la diaspora nous ne sommes pas autorisés à compter sur les mêmes droits qu’ont « tous les êtres humains ».
Toute tentative pour comprendre la logique derrière ce qui est essentiellement un cas de violation flagrante des droits de l’homme fondamentaux se trouve confrontée à des accusations d’antisémitisme une arme utilisée pour réduire au silence les voix qui réclament la justice au Moyen-Orient.
Je suis convaincu que la possibilité d’obtenir une paix juste est aujourd’hui loin d’être réalisée en raison du siège médiéval hermétique qui est imposé à plus de 2 millions de personnes déjà appauvries à Gaza et du découpage d’une Cisjordanie déjà amputée. L’impossibilité de réaliser le rêve national d’un tiers du peuple palestinien a soulevé la question embarrassante des droits des deux tiers restant à savoir les réfugiés dépossédés qui vivent dans des camps misérables en d’autres pays et les citoyens de seconde classe de l’État d’Israël.
Qu’est la cause palestinienne si ce n’est le droit au retour des réfugiés ?
Jamais nous ne nous lassons de soulever la question posée par la génération Nakba cette génération qui était censée mourir alors que nous sommes censés oublier : qu’est la cause palestinienne si ce n’est le droit au retour des réfugiés de ceux à l’intérieur comme à l’extérieur de la Palestine ? Peut-on parvenir à une paix véritable sans résoudre ce problème ?
Nous vivons dans un monde qui promeut des systèmes démocratiques de gouvernement. Un monde censé être un système apportant la stabilité politique à l’intérieur d’un État qui garantit l’égalité des citoyens et les libertés individuelles. Et pourtant les principes de base de ce système de gouvernement majoritaire sont mis à l’épreuve dans les sociétés multiraciales multireligieuses multiethniques et multiculturelles.
Il existe une contradiction inhérente entre recommander une démocratie en tant qu’idée universelle tout en définissant l’État d’Israël en termes monoethniques. Cette approche n’a abouti qu’à reléguer les Palestiniens résidant à l’intérieur de l’État d’Israël au statut de citoyens de seconde classe. Cela a sapé entre autres le principe même de l’égalité de citoyenneté qui est au cœur du système démocratique de gouvernement.
Le sionisme lui est basé sur l’idée de séparation de rejet de la différence et de suprématie ethno-religieuse ; il est basé sur un dogme qui proclame que les juifs du monde entier constituent une nation. Dans la conscience sioniste nous les Palestiniens originaires de cette terre exactement comme les Amérindiens sommes devenus une population en excédent dont il faut se débarrasser.
Ceux qui restent seraient considérés comme une minorité dépourvus de droits politiques et nationaux. Nous Palestiniens natifs sommes considérés par le sionisme hégémonique comme un obstacle à la réalisation du rêve sioniste du fait même de notre existence et de notre présence. Ceci pourrait expliquer la poursuite du nettoyage ethnique en Cisjordanie et du génocide progressif qui se déroule à Gaza.
Comme tout pouvoir colonial le sionisme considère les Palestiniens originaires de cette terre comme « l’autre » (le goy) celui qui doit être combattu et éradiqué. La résistance palestinienne pacifique ou non est donc considérée comme une « violence criminelle » « illégitime » du « terrorisme » etc… La réalisation du rêve sioniste a signifié la rédemption pour certains juifs aux dépens des Palestiniens natifs qui ont été dépossédés et relégués à ce que Fredric Jameson dans un autre contexte appelle « l’inconscient politique ». Ainsi d’un point de vue palestinien la cristallisation du rêve sioniste a signifié la dépossession et le Ghurba (l’exil).
Le sionisme voulait que nous soyons oubliés dans l’ « inconscient politique ». Cependant les massacres l’humiliation la dépossession la défaite l’expropriation l’invasion le déni d’existence et maintenant un siège médiéval hermétique etc… n’ont pas conduit à notre « disparition ». Nous avons été dépouillés de notre terre privés de notre identité et de notre histoire ; même notre avenir nous a été volé. La réponse sioniste à ces atrocités est que les Palestiniens n’auraient jamais dû exister en premier lieu. Nous devons rester invisibles !
L’ « indépendance d’Israël » a signifié une catastrophe pour les Palestiniens faisant d’eux les victimes des victimes. Le but du sionisme a toujours été de nous rendre invisibles sans visage et sans voix des réfugiés de nulle part éloignés de la conscience active du monde. Nous n’avions « pas d’histoire » « pas de conscience » « pas de culture » et donc pas d’histoire à raconter. Nous Palestiniens sommes des « étrangers natifs » devenus des étrangers par la malchance d’être nés de mères non juives.
Il est toujours frustrant que tant de militants n’aient aucune idée des fondements de la question palestinienne. Je suis toujours étonné de me retrouver à l’expliquer contrairement à ce qui a été au centre de la pensée libérale moderne ; l’idée du citoyen en Israël est totalement absente. Israël est un État où citoyenneté et nationalité sont deux concepts séparés indépendants. En d’autres termes Israël n’est pas l’État de ses citoyens mais l’État de la population juive. De plus depuis que le judaïsme est une religion et puisqu’il est la base de l’existence d’un « État moderne » pourquoi l’islam le christianisme ou l’hindouïsme ne pourraient-ils pas l’être ?
Beaucoup d’entre nous pensent que la seule solution pour mettre fin à cette horreur causée par un projet colonial implanté au cœur du monde arabe ne passe avec des moyens démocratiques que par la désionisation de l’État d’Israël et sa transformation en un État pour tous ses citoyens sans distinction de race de religion d’ethnicité ou de sexe. Nous sommes 7 millions de réfugiés à attendre ce moment et deux millions d’entre nous ont déjà entammé leur longue marche vers la liberté le long des clôtures orientales et septentrionales qui les séparent des villes et villages d’où ils ont été expulsés par la force en 1948. Hélas mes parents ne se trouvent pas parmi les marcheurs mais moi j’y suis.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Open Democracy

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