Sun 7-July-2024

Pourquoi la Palestine ?

samedi 17-février-2018

Plus que tout autre État Israël est représentatif du climat de notre époque. Il est comme une condensation de ses hantises de ses mauvais présages de tout ce qui se joue dans nos sociétés des divisions qui se mettent en place du regard et de l’appréhension du monde qui sont appelés si la trajectoire funeste où nous sommes engagés se confirme à s’imposer comme les nôtres.
« L’homme de ce temps a le cœur dur (on pense aux absences de réactions devant les souffrances dans certaines parties du monde ou parfois dans nos rues) et la tripe sensible (on pense aux réactions devant une photo devant le malheur des animaux). Comme après le déluge la terre appartiendra peut-être demain aux monstres mous. »
Georges Bernanos Les grands cimetières sous la lune

« Une atmosphère policière recouvre la Terre qui prétend réguler la vie et dont le trait commun est désormais celui de faire des humains une espèce générale en danger. »
Josep Rafanell i Orra Fragmenter le monde
Plus que tout autre État Israël est représentatif du climat de notre époque. Il est comme une condensation de ses hantises de ses mauvais présages de tout ce qui se joue dans nos sociétés des divisions qui se mettent en place du regard et de l’appréhension du monde qui sont appelés si la trajectoire funeste où nous sommes engagés se confirme à s’imposer comme les nôtres.
Il y a une tendance ici en France à présenter le mal-nommé « conflit » au Proche-Orient comme une sorte de match avec ses supporters et ses hooligans ou comme la poursuite d’une bagarre encombrante interminable entre Arabes et Juifs.
Alors la réaction naturelle et ma foi compréhensible du bon Français face à tout ce tapage serait de renvoyer dos à dos les deux parties d’adopter la position de surplomb la neutralité fallacieuse ou la demi-indifférence auxquelles la diplomatie française et les médias l’ont habitué bref de s’en laver les mains… Seulement ainsi le Ponce Pilate français oublie quelque chose ou feint d’oublier : c’est qu’en plus de concentrer tout le sombre passé refoulé de l’Europe cet Orient tout proche et qu’elle a fabriqué dessine aussi son avenir.
« Mais pourquoi toujours la Palestine ? Pourquoi cet engagement-là en particulier ? Pourquoi cette focalisation ? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres horreurs partout dans le monde des guerres pires ? Pourquoi on ne parle pas autant du Darfour du Tibet du Yémen du sort des Kurdes ou de celui des Rohingya ? »
Même chez des gens pas spécialement solidaires d’Israël et loin des poncifs sionistes sur la haine et le terrorisme palestiniens il arrive qu’on entende ces questions ou qu’on les reconnaisse du moins sous des silences et d’adroits changements de sujet derrière des soupirs des haussements d’épaules une moue gênée ou un geste d’esquive lorsqu’on évoque la Palestine… Le même désintérêt fuyant la même lassitude cette incapacité à comprendre comment on peut s’engager autant pour une cause si particulière et somme toute éloignée se manifestent de diverses façons… Il s’agirait au fond d’une tragédie parmi d’autres un peuple opprimé d’accord mais un seul dans la longue liste de ceux que la bonne conscience militante énumère depuis toujours avec une voix qui tremble et une lueur dans l’oeil qu’elle semble collectionner comme si c’étaient des Pokémons rares…
L’importance pour nous de la question palestinienne ne se réduit pas à un simple attachement identitaire ou affectif à une pétition de principe morale ni même uniquement à un parti-pris pour ceux que nous identifions comme « les opprimés ». Même en dehors des phases de crise aiguë même lorsqu’elle est moins meurtrière que d’autres catastrophes qui accablent le triste monde et défilent dans la même litanie d’infos répétées l’oppression israélienne reste spécifique. Elle cristallise un certain rapport à la fois politique symbolique et moral de l’Occident avec les peuples qu’il continue à dominer elle est particulièrement représentative de la manière dont la conscience européenne se définit à travers ce rapport. Elle nous concerne spécifiquement parce qu’elle nous place devant un aperçu de ce qui s’annonce pour nous tous du point de vue politique en matière sécuritaire sociale sociétale et de gouvernance.
Dans cette perspective l’engagement pour la Palestine ne constitue pas seulement un choix un parti-pris quelconque motivé tantôt par des facteurs objectifs (histoire faits statistiques articles ou résolutions…) tantôt par d’autres subjectifs (affinités religieuses identitaires orientation politique…) mais une décision politique fondamentale à l’heure où se déploient des discours et des manoeuvres assumant la nécessité d’une séparation de l’humanité en catégories distinctes pour lesquelles il serait idéaliste naïf voire dangereux de réclamer les mêmes droits. Il s’agit de savoir si nous sommes entrain d’adopter le regard et l’anxiété passive par lesquels via dressage émotionnel et langagier de telles séparations finissent par s’imposer comme incontournables bien que regrettables voire souhaitables car rassurantes; si nous allons intégrer les dispositifs qui mettent en place cette séparation qui l’inscrivent dans l’ordinaire et l’allant-de-soi ou si nous allons refuser de nous en accommoder.
De ce point de vue pro-palestiniens sympathisants d’Israël et indifférents ont au moins en commun d’être mis face à l’impératif de cette décision. Soutenir la Palestine et demander la fin de l’occupation implique en toute cohérence de s’opposer à toute une vision du monde à toute une logique de répartition ségrégationniste qui tend à s’imposer partout. À l’inverse adopter la manière israélienne de voir condamne à généraliser à toutes les zones privilégiées du monde la crainte et le délire de persécution ainsi que les cloisonnements la répression impitoyable et le quadrillage sécuritaire qu’elles exigent et justifient.
La droitisation croissante du discours israélien loin d’être une regrettable contingence ou une passagère aggravation du déplorable obéit à une nécessité tout à fait compréhensible si on la replace au sein du projet de séparation et de gestion des populations. Elle répond à cette idée qu’il faut défendre une société délimitée des périls et des attaques de ceux qui la haïssent. Et en général aujourd’hui on appréhende moins des armées qui déferlent ou des attaques externes que certaines populations de l’intérieur perçues comme hostiles et inassimilables dont les droits et même l’existence sont peu à peu déniés et qui servent non seulement de bouc émissaire mais de prétexte aux gouvernements pour renforcer leur contrôle sur l’ensemble de la population.

À l’avant-garde de la gouvernance sécuritaire

L’antiterrorisme comme technique de gouvernement s’est aujourd’hui complètement imposé dans les discours politiques officiels et la centralité de la lutte contre le terrorisme est admise par tous les gouvernements européens et même par une partie des États arabes trop heureux de pouvoir requalifier ainsi de terroristes en vrac les mouvements les opposants les partis et les individus qui les dérangent.
Il est bien connu qu’Israël est à l’avant-garde pour tout ce qui concerne la « sécurité » des États le contrôle des populations la contre-insurrection rebaptisée « antiterrorisme ». Les Israéliens sont les principaux pourvoyeurs de techniques et de technologies policières du Moyen-Orient à l’Amérique du Sud. En terme d’usage des drones pour la surveillance et les assassinats ciblés ils peuvent même se vanter d’avoir donné des leçons aux Américains1.
L’argument moral et méta-juridique courant contre ce qui est appelé « terrorisme » censé en même temps justifier cette appellation et le distinguer de la résistance armée est qu’il s’en prend aux civils et pas seulement aux combattants. Mais aujourd’hui un Palestinien qui attaque des soldats de l’armée d’occupation est automatiquement qualifié de terroriste. Et chaque fois qu’Israël mène une opération pour « renforcer sa sécurité » la mort au combat de six soldats israéliens est présentée comme aussi scandaleuse et inacceptable que s’ils étaient civils – israéliens bien sûr – tandis que les Gazaouis parmi lesquels on ne distingue pas bien les « terroristes » des civils peuvent bien périr par milliers…
Ainsi en plus de l’idée que certaines vies valent plus que d’autres se manifeste une indifférenciation croissante du militaire et du civil. Celle-ci est particulièrement favorisée en Israël par l’obligation pour la majorité des jeunes de faire l’armée ainsi que par son prestige social à cause notamment des privilèges nombreux auxquels elle donne accès. Mais cette tendance des États en guerre à vouloir à tout prix préserver les vies de leurs soldats en plus de celles de leurs civils est entrain de gagner tous les pays occidentaux à commencer par les États-Unis où elle a fortement pesé en faveur de l’usage généralisé des drones en Iraq et en Afghanistan. Ainsi le caractère éminemment précieux des vies « démocratiques » s’étend même aux soldats. Et même quand vue la dissymétrie des forces ils courent très peu de risque de mourir au combat ou même quand ils n’en courent aucun comme dans le cas des pilotes de drones ce type de mentalité amène à compatir avec eux plutôt qu’avec les ombres sans visage qu’ils s’appliquent à éliminer. On en vient à s’inquiéter des ravages psychologiques de la guerre sur les soldats à s’interroger sur les affres qu’ils traversent pour avoir eu à tuer comme dans le film d’animation israélien Valse avec Bachir.
À tout le bouleversement que ce dispositif implique à la redéfinition des concepts fondamentaux de la guerre qu’appelle l’effacement de la frontière entre vies civiles et vies militaires s’ajoutent la confusion et l’intrication des domaines militaires et policiers de la guerre et des opérations de police. Toutes ces logiques qui ont déjà amplement contaminé les politiques de sécurité interne des États occidentaux notamment avec la normalisation en France de l’État d’urgence et son inscription dans la loi ont d’abord été à l’œuvre en Palestine occupée dans le rapport d’Israël aux Palestiniens. Il s’agit donc non seulement de techniques de guerre de gouvernance et de police qu’Israël exporte et par lesquelles il se pose en modèle du parti de l’ordre et de la sécurité mais également d’une certaine mentalité d’un certain ethos qu’il s’agit d’installer chez les citoyens d’un rapport au dehors barbare et dangereux contre lequel il faut se prémunir par tous les moyens même si cela implique une confiance aveugle envers les gouvernements qui disent nous protéger un accroissement de la surveillance auquel les régimes totalitaires du siècle dernier ne sont jamais parvenus – ils en ont rêvé la démocratie l’a fait.
Bien sûr cela amène à ne plus reconnaître l’ennemi comme humain et au fond même à supprimer la catégorie d’ennemi. Ce qui auparavant était ainsi désigné se réduit désormais tantôt à une anomalie tantôt à une bête fabuleuse un monstre écumant de haine à la fois lâche et fou dégénéré qu’il ne faut pas hésiter à abattre avant même d’être sûr de l’avoir bien identifié – toujours suivant les indiscutables instructions de ceux qui disent nous protéger. En plus d’autoriser la liquidation d’un tel élément dangereux sans avoir à discuter l’accusation suprême de « terrorisme » permet étrangement de ne plus avoir à se justifier ni même à s’expliciter ou à se préciser chaque fois qu’elle est lancée. Étrange réflexe comme si plus le chef d’accusation est grave moins il convenait de discuter d’émettre des doutes sur la culpabilité du prévenu ou de peser les circonstances… Circulez c’est simplement encore un « terroriste » qui a été « neutralisé ».
La société israélienne est également paradigmatique dans sa manière de constituer et d’exposer les populations civiles comme cibles du terrorisme de les séparer de ceux que l’État veut désigner comme terroristes et placer hors de l’humanité. Il faut alors que cette masse reste paranoïaque peureuse et compacte dans son adhésion craintive au tout-puissant dispositif d’État. Il faut qu’elle fasse corps avec lui que la remise en cause ou la critique qui pourraient désamorcer les logiques de polarisation qu’il active réactive et entretient soient non seulement interdites exclues du débat public et au besoin dénoncées comme « apologie » du pire mais qu’elles deviennent même impossibles à formuler. Il faut enfin que la foule des « gens normaux » soit de plus en plus dépendante et séparée qu’elle se perçoive comme douce délicate fragile enviée par le dehors et perpétuellement menacée.

La tripe sensible

Si vous allez un jour en Cisjordanie et si vous prenez la voiture avec un Palestinien il vous arrivera sûrement de devoir attendre. Vous longerez peut-être le célèbre mur sur des kilomètres lentement à cause des embouteillages jusqu’au barrage gardé par un Israélien en T-shirt jeune l’Uzi en bandoulière qui seul décide qui passe et quand tout s’arrête… Ce détour aura pour but de vous faire éviter les alentours d’une colonie fraîchement établie près des villages palestiniens afin de préserver ses habitants du stress que votre arabe existence pourrait occasionner… Ainsi mis au pied du mur l’indignation ne sert à rien ni la colère. Profitez-en alors pour jeter un œil. Vous verrez peut-être près du sol tous les deux mètres environ des ouvertures de la taille d’un poignet effectuées dans le mur par des Israéliens écologistes… pour que la faune des environs ne soit pas empêchée dans ses déplacements !
Voilà qui est bien digne d’une des « démocraties les plus réussies au monde » – dixit Trump. Pousser si loin le souci de l’environnement quelle délicatesse ! Quel extraordinaire raffinement ! Ça c’est sûr c’est pas du travail d’Arabe !
La conscience supérieure la sensibilité exacerbée le sens moral qui les subjugue et la bonté qu’ils ne peuvent s’empêcher d’incarner ne permettaient pas à ces Israéliens d’oublier qu’un pareil mur évidemment désordonne les équilibres perturbe l’écosystème brise les groupes et sépare les familles complique la recherche de nourriture et d’eau bref disloque toute continuité vivante… Ainsi la fragmentation de la Palestine opérée par l’occupation avec ses catégories ses laisser-passer et ses privilèges localisés concerne même les reptiles les musaraignes et les lapins : le sionisme leur donne un statut privilégié ! Un peu comme aux Druzes !
On dirait une parabole du rapport moral que l’Occident entretient avec le reste du globe avec sa manie de sauver le monde après qu’il l’a dévasté – ou même de le dévaster et de le sauver d’un même geste de crier « au feu ! » pendant qu’il l’incendie.
Cette fascinante initiative rappelle la réaction indignée de nombreux Américains lorsque des compagnies privées ont mis en place des parties de chasse par drones pour permettre au quidam de s’amuser en tuant des bêtes sauvages sans avoir à quitter le siège de son bureau. La NRA et la SPA s’étaient même alliées à l’occasion une fois n’est pas coutume pour dénoncer d’une seule voix la lâcheté et la barbarie de telles pratiques si bien que le programme a dû être interrompu… En terme d’usage létal des drones il a paru inacceptable à l’opinion américaine que l’on fasse subir à des fauves et des oiseaux le sort qui fut dès lors réservé aux Afghans tout comme les Israéliens ont jugé cruel et inhumain d’infliger les désagréments de l’Occupation aux habitants de Cisjordanie qui avaient la chance d’être nés rongeurs ou lézards.
Des exemples comme celui-ci feront peut-être comprendre en quoi le sionisme est une affaire européenne encore aujourd’hui sur le terrain et pas seulement de par l’histoire en quoi c’est précisément la «bonne » conscience occidentale qui s’y déploie avec sa perversion ses inversions son incongruité la satisfaction et l’auto-justification morales qui sont les siennes sa manière particulière de poursuivre à rebours de ses propres principes sa perpétuelle négation de l’autre et d’y voir même une preuve supplémentaire de l’excellence démocratique et morale dont elle se targue.
Voilà qui répondra aussi à ceux qui disqualifient toute critique d’Israël ou tout appel au boycott qui ne s’inscrivent pas dans une critique globale et indifférenciée des États oppresseurs voire des États tout court. Si le boycott de la Chine de l’Iran de la Turquie du Qatar ou de la Russie ne nous concernent pas de la même façon ce n’est pas seulement à cause de la dépendance politique de certains de ces Etats à l’égard des puissances occidentales ni parce qu’ils seraient trop directs trop franchement brutaux dans l’exercice de leur force encore moins parce qu’ils seraient moralement meilleurs ou que l’oppression subie par ceux qui ont affaire à eux serait plus douce ou moins digne d’intérêt. Mais parce que cette oppression ne se présente pas de la même manière à nous et les pouvoirs que représentent ces régimes ne sont pas aussi directement identifiables à ceux qui nous sont familiers que nous subissons ou dont nous profitons que nous cautionnons ou dont nous nous désolidarisons.
Les rapports impliqués par ces pouvoirs ne sont pas ceux par lesquels nous sommes pris alors qu’en tant que Français nous sommes tous menacés non seulement d’être un jour traités en Palestinien (pas seulement les immigrés ou les descendants d’immigrés) dans un cadre politique et juridique qu’il sera de plus en plus difficile de contester mais aussi risque inverse et peut-être non moins grave de faire partie d’une masse de citoyens qui vit pense et craint à la manière israélienne.
Il ne s’agit pas tant ici de s’opposer au sionisme comme étendard à ce sionisme auquel certains adhèrent par simple fidélité à un groupe sentiment d’appartenance ou par un supposé devoir filial ou religieux. De telles fidélités nous traversent tous et aujourd’hui même les nationalismes et les réflexes identitaires prennent de plus en plus l’aspect de masques ou de palliatifs – ce qui est loin de leur ôter toute nocivité. Dans cette guise le sionisme ne diffère peut-être pas d’autres grands récits et engagements du même type. À la limite nous ne parlons pas non plus du sionisme comme idéologie coloniale européenne comme survivance nationaliste de l’avant-dernier siècle. Dans ce qui se joue aujourd’hui à l’échelle mondiale dans le grand renfermement qui est entrain de se mettre en place et l’insistance des gouvernements à accroître le contrôle et à justifier l’exclusion de certaines catégories d’humains il s’agit surtout de repérer le sionisme comme logique.
Ce qu’Israël incarne et révèle ce sont des logiques de séparation et de gestion des populations de gestion des foules des colères et des craintes de distribution des statuts des logiques qui cultivent la menace et entretiennent la dépendance des individus aux dispositifs nocifs isolants et falsificateurs qui prétendent les protéger.

La seule « démocratie » du Proche-orient

Chaque fois que j’ai entendu dire qu’Israël est la seule démocratie du Proche-Orient avant la colère et la révolte par-delà le noeud paralysant et la force pétrifiante de ces mensonges j’ai pensé et voulu demander : Mais alors qu’entendez-vous par « démocratie » ? Que signifie « démocratie » pour qu’on puisse admettre qu’Israël en est une ?
Évidemment par ce que le terme a de laudatif et de positif ceux qui défendent la cause palestinienne ou qui simplement connaissent la situation sur place et n’ont aucun intérêt de mentir s’empresseront de rectifier de rétablir quelques vérités. Ils rappelleront par exemple outre le sort que cette « démocratie » réserve aux Palestiniens qu’Israël ne garantit pas l’égalité des droits même pour ceux qu’elle reconnaît comme étant ses citoyens… Mais ces objections suffisent-elles ? Répondent-elles vraiment à ce qui est affirmé ou est-ce qu’elles se contentent de rendre coup pour coup ? Est-ce que les colonisations françaises et anglaises le génocide des Amérindiens ou la traite négrière ont jamais empêché que les États-Unis la France ou l’Angleterre soient qualifiés de démocraties ? Et si ces pays ne sont pas non plus démocratiques alors qui l’est ? Ou alors est-ce que durant ces phases historiques ils auraient simplement trahi leur essence démocratique et les valeurs qui leur seraient comme consubstantiellement attachées ?
Il faudrait peut-être retourner cette affirmation tenace contre ceux qui la lancent : si c’est le cas si Israël est bien la seule démocratie du Proche-Orient alors ça en dit long sur ce que vous appelez « démocratie ».
Que « démocratie » ne serve pas à blanchir « Israël » (avec ou sans jeu de mots) mais que la vérité sur ce qu’est Israël nous fasse nous demander : jusqu’où peut aller une prétendue démocratie ? Quel est le sort réservé à ceux dont on prétend qu’ils la haïssent et la menacent ?
Israël donne à tout ce qui se dit démocratique un aperçu de ce qu’une « démocratie » est prête à considérer comme nécessaire et acceptable lorsqu’elle se prétend menacée lorsqu’elle se vit comme un havre de civilisation cerné par la barbarie haineuse des gueux alentours… Si de nos jours la « démocratie » s’accommode si facilement du racisme structurel du déni des droits du mensonge de l’escalade sécuritaire et l’adhésion unanime à la rhétorique antiterroriste si elle peut donner lieu à une occupation et un apartheid tels qui durent depuis des décennies au massacre par les bombes et l’étouffement par le blocus d’une population séquestrée depuis dix ans pour avoir mal voté (démocratiquement au passage cherchez l’erreur…) alors oui peut-être qu’on peut considérer Israël comme une « démocratie » – peut-être même que Donald Trump a raison : il s’agit d’une des « démocraties » les plus réussies.
Après les attentats du 13 novembre un ancien ministre de la défense a textuellement appelé à « israéliser la sécurité » en France ce qui signifie que « l’israélisation » de la société dans son ensemble est un dessein qu’on ne prend même plus la peine de dissimuler. Plus récemment pour justifier la mise en place à Nice d’une application importée d’Israël2 et qui permet à n’importe qui de partager en temps réel avec le centre de vidéosurveillance de la police les agressions délits et incivilités réels ou supposés qu’il a pu filmer Christian Estrosi déclarait : « nous sommes confrontés à une guerre qui nous est faite à l’israélienne et ne pas mener nous-mêmes cette guerre à l’israélienne c’est-à-dire nous appuyer à la fois sur toutes les administrations toutes les collectivités et aussi les populations – car en Israël les populations par des campagnes d’information et de communication sont associées – c’est une erreur ».

Que vous vous intéressiez ou pas à la question du Proche-Orient que vous soyez « pour » ou « contre » ceci ou cela « avec » ou « contre » les uns ou les autres vous serez donc confrontés à cette perspective : Israël comme avenir des sociétés occidentales.
Si cette réjouissante option se confirme le sujet générique que l’on pourra rencontrer dans la « démocratie » qui se prépare sera tantôt ombre voix étouffée masse dangereuse présence embarrassante chair livrée aux dispositifs silhouette perdue dans le troupeau des détenus des inculpés de ceux qui attendent aux check-points; tantôt citoyen reconnu votant respectable qui peut s’exprimer se déplacer s’enrichir à qui on permet de prendre soin de sa personne si précieuse à qui tout rappelle combien la vie est chère enviée fragile et que tout maintient dans cette inquiétude fébrile dans cette certitude qu’il lui faut pour être tranquille emmurer le premier (celui dont il a pris la place en Palestine comme dans cette phrase) ne plus être dérangé par sa respiration…
Selon que vous vous trouverez d’un côté ou de l’autre selon que vous serez puissant ou misérable suivant ce partage vous pourrez dire avec raison « Nous sommes tous Israéliens » ou « Nous sommes tous Palestiniens ».

1-Voir à ce sujet l’ouvrage Théorie du drone de Grégoire Chamayou.
2-Cette application appelée Reporty a été développée par la start-up de l’ancien premier ministre israélien Ehud Barak. http://www.liberation.fr/france/2018/01/15/a-nice-un-citoyen-peut-devenir-une-camera-de-surveillance_1622571

https://blogs.mediapart.fr

Lien court:

Copied