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Quand Washington voulait empêcher Jean-Paul II de rencontrer Tarek Aziz…

vendredi 24-avril-2015


Durant vos nombreux voyages en Irak entre 1997 et 2003 vous avez maintes fois rencontré le Vice-Premier ministre chrétien de Saddam Hussein Tarek Aziz et vous lui avez organisé une rencontre avec le pape Jean-Paul II le 14 février
2003. Vous dites dans votre livre qu’il y a eu des pressions au Vatican pour empêcher cette rencontre. Lesquelles ?

 

La visite de Tarek Aziz au Saint Père s’est en effet heurtée à de forts obstacles de la part du gouvernement de Silvio Berlusconi et de Washington. Plusieurs Monsignori de la Secrétairerie d’État bénéficiaient alors des “faveurs” de Washington et ne voulaient surtout pas les perdre. Mais le Pape n’en a pas tenu compte et l’audience a eu lieu. D’autres pressions ont
été exercées : quand Tarek Aziz est arrivé à Rome il devait participer à une importante émission télévisée sur la RAI. Non seulement sa participation a été annulée mais les directeurs de toutes les chaines publique ont reçu des instructions
formelles pour lui interdire l’accès aux plateaux.

 

Aujourd’hui Tarek Aziz est emprisonné sous le coup d’une peine capitale. La DGSE la Direction générale de la Sécurité extérieure vous a contacté en 2003 pour proposer l’asile politique à Tarek Aziz. Pourquoi celui-ci a-t-il refusé ?

 

Tarek Aziz m’a répondu « Veuillez remercier le président Chirac mais je ne peux pas laisser mon peuple mourir sous les bombes et me réfugier tranquillement à l’étranger. J’ai le devoir de rester aux côtés du peuple irakien et de ma famille ». Aujourd’hui Tarek Aziz est emprisonné depuis douze ans. Transféré depuis le mois d’août dernier dans le sud de l’Irak
il est malade sans assistance médicale. Il a subi plusieurs ictus parle difficilement et a perdu 35 kilos. En fait il est mourant sous le regard indifférent de la communauté internationale. Vous verrez que lorsqu’il décédera l’on entendra les hommes d’États déclarer qu’Aziz était un « homme modéré un grand diplomate » et que le traitement qu’il lui a été infligé « était
injuste ». Ce sera le chœur larmoyant des défenseurs des droits de l’homme et autres exportateurs de démocratie !

 

Devant le chaos qui règne aujourd’hui en Irak en Syrie et au Yémen l’impression domine que les gouvernements occidentaux ne savent plus comment gérer la situation ?
Mais qui se trouve derrière l’État islamique ?

 

La grande presse nous dit que l’État islamique et les groupes djihadistes sont financés par les monarchies du Golfe. Curieusement les noms de ces pays ne sont jamais mentionnés. Or tous sont des alliés de l’Occident
et tous y investissent par dizaines de milliards de dollars. Au-delà des hypocrisies sémantiques chacun sait qu’al-Qaïda al-Nosra et l’État islamique sont soutenus armés et financés par de riches saoudiens. Que les takfiristes
qui opèrent en Syrie et sur d’autres fronts anti-chiites sont soutenus par Riyad. Bref ceux qui financent le terrorisme islamique dans le monde et aussi en Europe sont principalement l’Arabie Saoudite et le Koweït. Tous les
gouvernements le savent pertinemment. Le grave problème des hommes politiques occidentaux malgré leurs myriades d’experts est qu’ils ne comprennent quasiment rien au monde arabe. Tous demeurent radicalement étrangers aux mentalités aux traditions et aux aspirations de ces populations sans parler d’une profonde
méconnaissance de l’Islam. Leurs conseillers sont restés des années les fesses collées
sur les bancs des universités pour accumuler des titres. Diplômés jusqu’aux
oreilles ils n’ont en réalité aucune connaissance réelle de l’Orient arabe.

 

La France ne fait évidemment pas exception ?

 

Le président français se rend à Ryad pour y recevoir l’accolade du roi… et un beau chèque ! Après quoi l’on nous raconte que la France lutte contre l’État islamique terroriste mais elle fait la guerre à Bachar el-Assad qui est pourtant en guerre contre al- Nosra al-Qaïda et Daech. Cela fait désordre. A contrario les États-Unis se démarquent de plus en plus de Riyad
et traitent avec Téhéran alors que les chiites sont en passe de prendre le contrôle du Yémen. À telle enseigne que l’Arabie Saoudite se retrouve maintenant encerclée par l’Irak l’Iran et le Yémen chiites. On imagine quel vent de
panique commence à souffler à Ryad… Pendant mes années passées en Irak j’ai connu nombre de hauts gradés de la Garde républicaine de Saddam Hussein des dirigeants du partit Baas. Beaucoup ont aujourd’hui rejoint l’État islamique
même s’ils en désapprouvent l’extrême brutalité l’exécution de civils ou la persécution des chrétiens… pourtant au lendemain de la pendaison de Saddam Hussein George Bush déclarait « Le monde sans Saddam Hussein est maintenant plus sûr ». Certes nettement plus sûr !

 

Propos recueillis par Jean-Michel Vernochet

 

Irak l’effet boomerang : entretiens avec Tarek
Aziz. Balland éditeur. 190 pages. 16 euros.

 

Jean-Marie Benjamin est prêtre catholique.

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