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Les USA prêts à jouer la carte des Frères musulmans ?

mardi 17-mars-2015

Dans la foulée du rapprochement irano-américain Washington est manifestement à la
recherche de nouveaux alliés au Proche et Moyen-Orient dans sa lutte contre
Daech. Une stratégie qui pourrait conduire à plus ou moins long terme à un apaisement
de leurs rapports avec les Frères musulmans.

 

Le 12 mars dernier le quotidien libanais francophone « L’Orient-Le
Jour » sous la plume de Fady Noun analysait le phénomène sous le
titre : « Les Ikhwan seraient les seuls sunnites
capables de relever le défi face à l’État islamique. »

 

L’avènement en Arabie saoudite du roi Salmane a entraîné une véritable révolution de
palais notamment avec le départ du prince Bandar ben Sultan (65 ans) le
puissant chef des services de renseignements du royaume wahhabite et son
groupe qui ont contribué à façonner la politique étrangère et sécuritaire du
royaume pendant des décennies et la décision saoudienne de renouer avec les
Frères musulmans selon l’analyse d’un chercheur franco-libanais résidant à
Paris qui souhaite garder l’anonymat.

 

Cette décision a été vivement encouragée par la Maison blanche enchaîne-t-il. Ainsi
le département d’État a récemment reçu la visite d’une délégation de leaders
des Frères musulmans et rappelé qu’aux yeux des États-Unis « les Frères ne sont
ni des terroristes ni des adeptes de la violence ». Le président américain
Barack Obama a également reçu tout récemment l’émir du Qatar très proche de la
confrérie. D’évidence cette mutation dans les diplomaties saoudienne et
américaine vise notamment à mobiliser les Frères musulman dans le combat contre
l’État islamique (EI) et el-Qaëda en Irak en Syrie en Libye en Tunisie en
Égypte et au Yémen.

 

À côté des avantages pour les États-Unis d’un tel virage l’un de ses éléments
particulièrement inquiétants aux yeux des démocrates arabes est qu’il est
susceptible de déstabiliser le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en
guerre ouverte contre les Ikhwan.

 

Éventuellement ce serait pour Washington commettre une erreur aussi monumentale que celle
faite en Irak – sachant par ailleursnaturellement que le président Sissi n’est
pas sans reproche.

 

Revenant sur l’ère du roi Abdallah le chercheur cité rappelle que Bandar ben Sultan
pour affronter l’Iran et la Russie notamment en Irak et en Syrie privilégiait
depuis quelques années le soutien massif aux organisations wahhabites
extrémistes : el-Qaëda et surtout l’État islamique et son projet de califat. «
Deux traits sont frappants dans la stratégie qui était mise en oeuvre par l’ancien
responsable saoudien à commencer par sa méfiance – sa haine même – à l’égard
des administrations démocrates US voire à l’égard des États-Unis en général.
Cette attitude peut étonner quand on sait que Bandar ben Sultan pendant son
long séjour comme ambassadeur à Washington avait noué les liens les plus
étroits avec la classe politique les grands patrons et tout le gotha des
célébrités américaines particulièrement avec la famille Bush et les magnats de
l’industrie militaire » explique le chercheur.

 

Il faudra sans doute revenir un jour sur les mobiles profonds « intimes » de l’antiaméricanisme
que nourrissent Bandar sa femme et son groupe (le clan des al-Fayçal).
Toujours est-il qu’« il ne faut pas écarter l’hypothèse que l’homme et ceux qu’il
représentait n’ont pas été révulsés par les attentats de 2001 aux États-Unis
ou plus récemment par la décapitation de citoyens américains ». Une autre
caractéristique retient l’attention dans la politique suivie par Bandar ben
Sultan au cours des derniers mois : il redoutait que le président Obama ne
suscite des « révolutions démocratiques » animées par les Frères musulmans dans
la péninsule Arabique et dans le royaume même… Au point qu’il aurait pris le
risque de favoriser la conquête du Yémen par les houthis la milice chiite
pro-iranienne en calculant que celle-ci laminerait al-Islâh la puissante
branche yéménite des Frères musulmans.

 

Bref le nouveau roi Salmane d’Arabie et son clan Soudeyri (issu de l’épouse préférée du
fondateur de la dynastie Ibn Saoud) ont amorcé un tournant depuis le 25
janvier en concertation avec le président américain qui a débarqué à Riyad
dès la cérémonie d’intronisation accompagné de dizaines d’officiers
supérieurs de responsables du renseignement et d’experts.

 

La « nouvelle » stratégie américano-saoudienne viserait désormais à réintégrer les
Frères musulmans comme force influente à l’échelle de tout le monde arabe. Et
ce en accord avec les deux protecteurs historiques des Frères : le Qatar et la
Turquie.

 

Pourquoi ce nouveau virage? À court terme si possible le président Obama veut abattre
Daech (acronyme de l’EI en arabe) devenu l’ennemi numéro un de l’Amérique.
Pour cela il peut déjà compter sur les Kurdes syro-irakiens (qu’il ne cesse d’armer)
et sur les chiites irakiens (soutenus par l’Iran et le Hezbollah). En Irak M.
Obama et ses alliés préparent avec le plus grand soin la reconquête de Mossoul
la grande métropole sunnite de la plaine de Ninive. Une participation des
Frères musulmans et des tribus sunnites irakiennes à cet assaut paraît
indispensable. Au Yémen face aux houthis el-Qaëda retranchée au Sud et à l’Est
prétend incarner à elle seule « la résistance sunnite ». Pour les Américains
il est temps de ressusciter al-Islâh (Frères musulmans et tribus) pour offrir
une alternative aux quelque 55 % de Yéménites sunnites. En Égypte le locataire
de la Maison-Blanche espère réconcilier le président Sissi et les Frères
musulmans pour enrayer les progrès des jihadistes wahhabites qui multiplient
attaques et attentats dans le Sinaï et les grandes villes. En Libye aussi un
rapprochement des Frères et de l’alliance dirigée par le général Khalifa Haftar
pourrait peut-être freiner l’essor de Daech et d’Ansar al-Charia qui menacent
le Sahel et le Maghreb.

 

Ainsi aux yeux du président Obama aujourd’hui seuls les Frères musulmans – présents dans
tous les pays arabes bien organisés présumés « modérés » et disposés à
collaborer avec Washington – sont capables dans le camp sunnite de relever le
défi Daech à l’heure où dans le monde arabe des millions de sunnites
seraient sensibles aux appels apparemment radicaux du wahhabisme. À plus long
terme les États-Unis veulent selon plusieurs indices redessiner la carte du
Moyen-Orient en favorisant l’avènement de fragiles États fédéraux (comme cela
a été le cas pour les Balkans) associant différentes composantes ethniques et
religieuses – l’objectif étant de garantir la sécurité d’Israël. S’ils s’avèrent
des alliés « crédibles » les Frères musulmans seraient appelés à représenter
au moins en partie la composante arabe sunnite dans les différents pays
concernés.

 

Les tactiques et stratégies US aboutiront-elles ? Daech sera-t-il vaincu ? Les
Frères seront-ils un allié efficace et accommodant de

l’Occident ? L’actualité ne tardera sans doute pas à répondre à toutes ces questions.

Source : L’Orient-Le Jour

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