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« Gaza est une bombe à retardement » !

mercredi 11-mars-2015

 

Pierre Krähenbühl
dirige l’Unrwa l’agence de l’ONU responsable des réfugiés palestiniens. À ce
titre il est responsable du destin de cinq millions de personnes ayant dû
fuir Israël en 1948 et éparpillées aujourd’hui dans la région. Les guerres à
Gaza et en Syrie les frappent de plein fouet. Il nous dit son inquiétude pour
la région. Cet entretien a été réalisé par le journaliste Daniel Fontaine pour
la chaîne belge RTBF

 

À Gaza cet
hiver des enfants sans abri sont morts de froid. C’est un signe que la
situation continue à s’y détériorer six mois après la fin de la guerre ?

Pierre
Krähenbühl : On connaît particulièrement bien un cas tragique. Une
famille était retournée dans ce qui restait de leur maison qui avait été
largement détruite. Lorsqu’il a commencé à pleuvoir et que les températures
ont chuté les enfants sont morts de froid pendant la nuit.

C’est un message de honte à l’ensemble du monde. Vous
avez là une population qui est très éduquée elle est passée par les écoles de
l’Unrwa et les écoles palestiniennes. J’ai rencontré des entrepreneurs qui
aujourd’hui sont dépendants de l’aide humanitaire. Une statistique qui me
choque beaucoup c’est que sur 18 million d’habitants 11 million reçoit de l’aide
alimentaire. Cela dans un endroit où les gens sont éduqués et étaient
autosuffisants économiquement. Ce n’est pas acceptable et c’est possible de
changer cela par une politique résolue et par une activité de reconstruction
beaucoup plus énergique.

 

Comment
expliquer l’hypocrisie des pays qui ont promis des milliards de dollars lors d’une
conférence au Caire sur la reconstruction de Gaza et qui ensuite oublient leurs
promesses ?

L’Unrwa avait demandé 720 millions de dollars pour notre
partie de la reconstruction. Il s’agissait à la fois de rebâtir des immeubles
détruits et de réparations plus modestes. Nous avons reçu à ce jour des promesses
pour 175 millions. Certains acteurs ont répondu comme l’Arabie saoudite et l’Allemagne.

Par contre ça a été un choc pour moi quatre mois après
la conférence du Caire de découvrir que l’argent reçu était déjà dépensé que
les contributions s’interrompaient et que nous devions mettre un terme à nos
projets de reconstruction. Quatre mois après le Caire c’était vraiment un
choc.

La bonne nouvelle c’est que les contributions ont
aujourd’hui repris. Nous allons pouvoir relancer certaines de ces activités. Le
mécanisme pour l’importation des matériaux de constructions commence à prendre
un rythme de croisière même si ce n’est pas encore suffisant. Donc les
perspectives s’améliorent un petit peu.

Avant la conférence du Caire j’ai beaucoup entendu l’interrogation
de savoir si c’est une bonne idée de réinvestir à Gaza pour que les investissements
soient détruits dans le conflit suivant. On peut comprendre : c’est quand même
de l’argent des contribuables. Mais si on hésite à investir pour la
construction il faut au moins s’engager politiquement. On ne peut pas observer
une retenue à la fois humanitaire et politique. Ça ne laisserait aucune
perspective à Gaza ni à la région.

 

Vous sentez le
désespoir monter ?

Ce qu’il faut s’imaginer c’est le cumul de ce que vivent
les gens à Gaza. D’un côté huit années de blocus imposé par Israël. Ce qui
veut dire qu’il n’y a pas d’emploi parce qu’il n’y pas d’importations ni d’exportations.
On a un taux de chômage de 45% de 65% pour les jeunes et plus de 80% pour les
femmes. Il n’y a pas de liberté de mouvement et donc pas de perspective pour la
population. Or les deux tiers de la population de Gaza sont des jeunes de
moins de 25 ans. Il faut imaginer ce que ça provoque comme tensions sociales
pour l’avenir.

Ensuite il y a eu le conflit de l’été passé. Avec le
nombre de personnes tuées et blessées dont des enfants qui subissent toujours
les séquelles de la guerre avec les sans-abris 120.000 personnes qui ne
peuvent pas retourner dans leur maison parce qu’elle est détruite on a un
mélange explosif. C’est une bombe à retardement pour la région. C’est renforcé
par le fait que la population de Gaza n’a plus aucune relation avec les
Israéliens. Il n’y a plus de connaissances personnelles ou d’interactions entre
les uns et les autres. Et 42% de la population israélienne dit qu’elle n’a
jamais rencontré un Palestinien.

Ces paramètres sont inquiétants pour l’avenir. Et le fait
qu’il n’y ait pas eu d’action politique résolue pour s’attaquer au fond des problèmes
la levée du blocus la fin de l’occupation fait peser sur Gaza et sur toute la
région une menace très importante.

 

La reproduction
du scénario tir de roquettes palestiniennes – bombardements israéliens est-elle
inévitable dans les prochains mois ?

Quelque chose est inévitable si on ne s’y attend pas. Si
on est en mesure de le prévenir par une action politique on ne pourra pas dire : « je
ne m’y attendais pas ». Donc il faut absolument agir maintenant
politiquement et sur le plan humanitaire pour que ce scénario ne se déroule
pas.

La situation est certes beaucoup plus grave qu’il y a un
an avant le dernier conflit mais il est possible par un engagement de la communauté
internationale de prendre en charge les problèmes de fond de façon sérieuse.
Face à l’instabilité du Moyen-Orient le monde doit se demander s’il peut s’offrir
le luxe de négliger la question israélo-palestinienne.

Je pense que non. Ce n’est pas acceptable d’un point de
vue humain de la dignité des populations et de la sécurité de la région et
aussi de l’Europe. Nous avons aujourd’hui des Palestiniens qui quittent la
région. Ils cherchent une vie meilleure ailleurs en Europe en particulier.
Quand on connaît les débats sur les migrations il faut réfléchir à améliorer
les conditions de vie sur place. On ne peut pas construire la sécurité de qui que
ce soit sur le déni du droit et de la justice d’une population entière.

 

En Syrie quelle
est la situation aujourd’hui des réfugiés palestiniens qui subissent depuis
près de quatre ans la guerre entre le régime et ses opposants ?

Ce conflit a pris des proportions catastrophiques pour
les Syriens mais aussi pour les réfugiés palestiniens. 560.000 réfugiés
palestiniens résidaient en Syrie avant la guerre. Plus de 60% ont été déplacés
à l’intérieur du pays d’autres ont fui à l’extérieur. Souvent ils se sont
déplacés plusieurs fois en fonction de l’évolution des lignes de front. Des
camps sont pris en tenaille entre les parties combattantes.

Auparavant cette population était relativement autonome.
En Syrie les réfugiés palestiniens avaient accès à l’emploi ils participaient
à la vie sociale. Aujourd’hui ils sont totalement dépendants de l’Unrwa. Avec
nos 4.000 collaborateurs sur place on arrive à avoir les accès nécessaires.
Mais le drame c’est qu’on ne voit aucune perspective de résolution à l’horizon.
Les gens prennent alors le risque de passer par des régions instables pour fuir
la Syrie.

 

De nouveaux
réfugiés arrivent dans les pays voisins où se trouvent des réfugiés
palestiniens de longue date comme au Liban et en Jordanie. Quel est l’impact
dans ces pays ?

280.000 réfugiés de Palestine se trouvent au Liban depuis
longtemps. 44.000 réfugiés palestiniens sont venus s’ajouter de Syrie dans les
camps libanais. Nous les avons pris en charge. Mais le Liban subit une pression
de réfugiés venus de Syrie invraisemblable. Chez nous nous avons de gros
débats dès qu’il faut accueillir 300 réfugiés le Liban en accueille 15
million ! L’Unrwa s’engage pour sa part au Liban et en Jordanie pour que les réfugiés
palestiniens venus de Syrie bénéficient de nos services. Il y a aussi des
milliers de réfugiés palestiniens en Turquie en Égypte en Algérie en Europe
et même en Asie. Cette guerre de Syrie provoque un éclatement de la communauté
palestinienne ce qui suscite des préoccupations en termes de survie mais
aussi d’identité.

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