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Pourquoi la défense des chrétiens d’Orient ne s’étendrait pas à ceux de Palestine ?

vendredi 6-février-2015

Vous qui êtes notoirement attaché au sens des mots comment résumer ce qu’on nomme « islamisme » comme si l’islam était la seule foi à mélanger religion et politique ?
Le mot peut recevoir plusieurs définitions. Aujourd’hui il se rapporte le plus souvent à ceux des musulmans sunnites qui considèrent que tout problème politique appelle une réponse religieuse ou qui poursuivent des buts politiques sous habillage religieux. Cet islamisme est né d’une réaction à la modernité occidentale ayant touché le monde musulman via la colonisation. Il se partage entre un islamisme de prédication un islamisme réformiste et politique (les Frères musulmans fondés en 1928) et un islamisme violent littéraliste et néo-fondamentaliste d’inspiration wahhabite ou salafiste aujourd’hui largement déterritorialisé dont le principal inspirateur fut l’Égyptien Saïd Qotb (1906-1066). Cet islamisme radical médiatiquement privilégié par l’Occident est aujourd’hui à la fois en crise (il ne parvient à proposer aucun projet de société viable) et en expansion comme en témoigne la surenchère de violence à laquelle se livrent actuellement les fanatiques de l’État islamique dans le nord de l’Irak.

Dans cette expansion les États-Unis portent une responsabilité historique de premier plan. Dès l’époque de la Guerre froide ils se sont systématiquement employés à privilégier les islamistes contre les nationalismes arabes laïcs suspectés d’être inféodés à Moscou. Quand l’URSS a envahi l’Afghanistan en 1979 ils ont soutenu et armé les ancêtres d’Al Qaïda. L’arrivée au pouvoir des néoconservateurs est ensuite allée de pair avec l’adoption d’un plan visant à balkaniser le Proche-Orient selon des clivages ethno-religieux ce qui a abouti à l’élimination de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi (2011) puis à l’offensive contre Bachar al-Assad. Les Israéliens de leur côté ont commencé par favoriser le Hamas contre Yasser Arafat (vous remarquerez que les prédicateurs takfiris appellent les djihadistes à combattre en Irak en Syrie ou en Afghanistan mais jamais en Palestine). Aujourd’hui les Américains se retrouvent en Irak face à des djihadistes qu’ils soutiennent en Syrie alliés de fait d’une puissance iranienne qu’ils dénonçaient hier encore comme le grand Satan. Cela suffit à montrer le caractère incohérent de leur politique.

Certains prétendent qu’il n’y a aucune différence entre l’islam et « l’«islamisme » ceux qui affirment le contraire se faisant régulièrement injurier ici comme ailleurs par des internautes notoirement énervés. Qu’en pensez-vous ?
Qu’ils aillent expliquer cela aux djihadistes de l’État islamique qui passent l’essentiel de leur temps à massacrer des musulmans ! Ce sont les mêmes qui nous expliquaient en 1935 que Staline et Trotsky étaient en fait tout à fait d’accord ou en 1968 que la querelle sino-soviétique n’était que de la « poudre aux yeux ». Aujourd’hui ils croient que l’Iran est un pays arabe que la majorité des musulmans dans le monde sont des Arabes et sans doute aussi que Hanifi Hanbali et Maliki sont des noms de pâtisseries orientales. Je sais bien que moins on connaît un sujet plus on a tendance à simplifier. Mais il y a un moment où le simplisme n’est plus que le paravent de l’indigence mentale. Pour ma part avec les imbéciles il y a longtemps que je m’en tiens à la règle NPDCP (ne pas discuter ça prolonge). J’ajouterai que je n’ai jamais entendu autant de critiques de l’islamisme qu’au cours d’un récent séjour en Algérie pour ne rien dire d’un séjour plus récent encore en Azerbaïdjan. Quant à ceux qui se déclarent en « guerre totale contre l’islam » soit au total 16 milliard d’individus je salue leur belle énergie et leur souhaite bonne chance !

Dans le chaos moyen-oriental les chrétiens sont aujourd’hui en première ligne. Etes-vous de ceux qui estiment qu’il faut « défendre les chrétiens d’Orient » contre les coupeurs de tête du nouveau califat ?
Je ne suis pas tout à fait sûr que le pays qui a inventé la guillotine soit le mieux placé pour reprocher aux djihadistes de décapiter leurs ennemis ! Mais je réponds bien sûr à votre question par l’affirmative. Cela dit on peut défendre les chrétiens d’Orient pour des raisons très différentes. On peut le faire par solidarité confessionnelle c’est-à-dire par réflexe communautariste (chrétien). Mais il est étrange que cette solidarité s’exerce si rarement en faveur des chrétiens de Palestine dont le patriarche latin de Jérusalem rappelait récemment qu’ils meurent à Gaza tout comme les musulmans sous les obus israéliens pour ne rien dire des Yazidis dont la religion héritée de l’ancien culte indo-iranien avait déjà 2000 ans d’existence à la naissance du Christ. On peut aussi le faire parce que l’on croit que l’islamisme est aujourd’hui l’ennemi principal ce qui n’est pas mon avis (l’ennemi principal est à mes yeux l’expansion planétaire de la logique de la marchandise imposée par l’illimitation du système capitaliste qui aboutit à priver l’homme de son humanité). On peut enfin le faire comme Barack Obama parce que l’on trouve que les combattants islamistes s’approchent un peu trop des puits de pétrole du Kurdistan (la production pétrolière kurde passera l’an prochain à 250 000 barils/jour). Pour ma part je préfère les défendre pour une raison de principe en l’occurrence mon hostilité à toute forme de persécution ou d’inquisition politique religieuse culturelle ou autre. Un principe ne vaut évidemment que par sa généralité : les chrétiens doivent pouvoir vivre leur foi en « terre musulmane » comme les musulmans doivent pouvoir vivre la leur en « terre chrétienne ».

Mais il y a aussi différentes manières de défendre les chrétiens d’Orient. Les mesures de sauvetage humanitaire en sont une l’action militaire en est une autre. Or François Hollande a décidé d’envoyer des armes (lesquelles d’ailleurs ?) aux Kurdes irakiens. Il en avait livré précédemment aux islamistes syriens. Cela revient à dire que la France est entrée en guerre. Dès lors la question n’est plus de savoir si l’on aime ou non les chrétiens d’Orient mais de savoir s’il est de l’intérêt de la France de participer aux côtés des Américains à une nouvelle guerre d’Irak. Cela n’est pas d’évident. Plutôt que d’agir sur les conséquences il me semble qu’il vaudrait mieux agir sur les causes. À l’heure actuelle la France se veut l’alliée de l’Arabie saoudite et du Qatar qui sont les principaux soutiens des criminels illuminés de l’État islamique et l’ennemi de la Syrie de Bachar al-Assad qui les combat. Si l’on veut défendre sérieusement les chrétiens d’Orient c’est par un renversement d’alliance qu’il faudrait commencer.

Entretien réalisé par Nicolas GAUTHIER et publié sur le site bvoltaire.fr

 

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