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L’histoire derrière la gifle d’Ahed Tamimi : la tête de son cousin fracassée par la balle d’un soldat israélien une heure auparavant

samedi 6-janvier-2018

Juste avant que l’adolescente palestinienne Ahed Tamimi gifle l’un des soldats qui avaient envahi la cour de sa maison elle avait appris que son cousin Mohammed âgé de 15 ans avait reçu une balle dans la tête à bout portant.
Le côté gauche de son visage est tordu enflé fragmenté zébré de cicatrices; il a du sang figé dans le nez des points de suture sur tout le visage; un œil qu’il ne peut plus ouvrir une ligne de couture s’étire sur tout son cuir chevelu.
Le visage de ce garçon est transformé en une cicatrice. Certains os de son crâne ont été enlevés par les chirurgiens et ne seront pas remis en place avant six mois.
C’est cela la vie sous l’occupation israélienne à Nabi Saleh où la population est en lutte. Environ une heure après que Mohammed ait reçu une balle tirée à courte distance par un soldat des Forces de défense israéliennes 1 (ou d’un agent de la police des frontières) sa cousine Ahed Tamimi s’est rendue dans la cour de sa maison et a essayé d’en expulser deux soldats qui avaient envahi la propriété familiale tandis qu’une caméra les filmait. Il est raisonnable de supposer qu’elle a ainsi tenté d’exprimer sa colère contre les soldats en partie à cause de ce qui était arrivé à son cousin une heure plus tôt.
Quelques dizaines de mètres seulement séparent la maison où se trouvait Ahed de l’endroit où les soldats ont tiré sur Mohammed ; seulement une heure séparait les deux événements. Les gens de sa famille racontent qu’Ahed âgée de 16 ans a fondu en larmes quand elle a appris que son cousin avait été blessé par balle et qu’il était dans un état grave. De la fenêtre de sa maison au bord de Nabi Saleh un petit village près de Ramallah vous pouvez voir le mur de pierre qui entoure le luxueux bâtiment en construction que Mohammed a escaladé pour avoir une vue des soldats qui étaient encore à l’intérieur. À ce moment-là il a reçu une balle dans la tête tirée d’une distance de quelques mètres et il est tombé en sang sur le sol d’une hauteur de trois mètres.
Maintenant Ahed est en détention et Mohammed se remet de sa blessure à la tête. Cette semaine Mohammed n’était toujours pas au courant de l’arrestation de sa cousine devenue une icône. Compte tenu de son état de santé sa famille ne le lui a pas dit.
Nous le rencontrons dans la maison de son oncle qui est adjacente à sa propre maison. Il parle doucement passe de temps en temps la main sur les cicatrices de sa tête se couche un moment sur le canapé pour se reposer. Il est en 10ème année à l’école mixte du village où Ahed est aussi étudiante un an avant lui. Son père Fadel est chauffeur de taxi. Sa mère Imtisal une femme au foyer.
L’année dernière il a passé trois mois dans une prison israélienne.
À 2 heures du matin le 24 avril 2017 des soldats ont pénétré par effraction dans leur maison sont entrés dans la chambre des enfants ont arraché Mohammed de son lit l’ont menotté et l’ont emmené en détention. Il voulait s’habiller avant d’être emmené en prison. Les soldats ont d’abord refusé mais ont ensuite accepté dit-il.
Tamimi était soupçonné d’avoir jeté des pierres sur une jeep de l’armée à côté de la station-service à l’entrée du village quelques jours plus tôt. Il a été emmené au centre de police d’Etzion pour un interrogatoire qui s’est déroulé sans la présence d’un avocat comme le prévoit la loi. Après tout qu’est-ce que la loi a à voir avec l’interrogatoire d’un garçon palestinien qui avait à l’époque 14 ans ? Personne ne lui a non plus dit qu’il avait le droit de garder le silence. À un certain moment les interrogateurs voulaient aussi lui faire signer un formulaire écrit en hébreu. Comme il ne connaît pas la langue il a refusé. Il dit qu’il n’a pas eu peur pendant l’interrogatoire.
Après trois mois d’interrogatoires et d’auditions Mohammed a été condamné à trois mois de prison 2 et à une amende de 3.000 shekels (environ 725 Euros). L’accusation avait demandé une peine d’emprisonnement d’un an et une amende de 15.000 shekels. Tamimi a été libéré deux jours plus tard puisqu’il était déjà incarcéré depuis trois mois. Pendant toute sa période de détention ses parents n’ont pas été autorisés à rendre visite à leur fils une seule fois. Ils l’ont seulement vu dans la salle d’audience de loin mais n’avaient pas le droit de lui parler ni même de demander comment il se sentait. Procédure de routine.
Mohammed a été libéré le 19 juillet. Qu’avez-vous trouvé le plus dur en prison ? lui demandons-nous. Le plus dur pour lui dit-il était d’être tenu éveillé des nuits entières par son inquiétude pour sa famille.
Les troupes des FDI et de la police des frontières attaquent Nabi Saleh presque tous les jours et toutes les nuits et Tamimi s’inquiètait à propos de ses parents et de son frère Sharef âgé de 24 ans.
Sharef et leur père ont également été arrêtés assez souvent et également blessés. En 2015 par exemple quelques personnes qui se faisaient passer pour des employés de la “Electric Corporation” sont arrivées chez elles. C’était pendant la journée. Il s’est avéré qu’ils s’agissait en fait de mista’arvim des soldats infiltrés sous camouflage. Ils ont enfermé tout le monde dans une pièce de la maison. Mohammed a réussi à s’échapper dans la maison voisine de son oncle et à alerter la famille que des étrangers avaient envahi la maison.
Son cousin qui s’appelle également Mohammed Tamimi – il y a apparemment une centaine de personnes à Nabi Saleh portant ce nom – dit qu’au début eux aussi ne savaient pas qui étaient les intrus. Ils étaient venus arrêter Sharef qui n’était pas à la maison. Les soldats l’ont attendu. Sharef a été condamné à deux mois de prison. Cette situation de l’enlèvement de son frère fait également partie des souvenirs d’enfance de Mohammed.
Après la libération de Mohammed il est retourné participer aux manifestations régulières du village – «parce qu’ils ont pris nos terres» explique-t-il. La plupart des terres de Nabi Saleh ont effectivement été pillées afin de construire la colonie de Halamish de l’autre côté de la route ou rendues tout simplement inaccessibles en raison de la présence de la colonie.
Au cours des trois derniers mois la main des forces de sécurité israéliennes est deve-nue encore plus lourde dans le village. Selon Iyad Hadad cher¬cheur de terrain pour l’organisation israé¬lienne de défense des droits de l’homme B’Tselem l’armée israélienne et la police des frontières ont attaqué Nabi Saleh à 70 ou 80 reprises au cours des trois derniers mois. Parfois les soldats ferment l’accès du village par une barrière métallique jaune de sorte que les habitants sont incapables d’atteindre la route principale. Cela se passe le plus souvent au petit matin lorsque les travailleurs se rendent à leur travail les patients vont à l’hôpital pour recevoir un traitement et les étudiants se rendent à l’école. Le village attribue cette politique au nouveau commandant de l’armée dans la région qu’ils connaissent simplement comme ‘Eyal’.
Le vendredi 15 décembre fut une journée agitée de plus à Nabi Saleh. C’était une semaine après la déclaration du président américain Trump à propos de Jérusalem. Comme chaque vendredi une marche de protestation devait avoir lieu. Tamimi raconte qu’il est allé ce matin-là avec un groupe de ses camarades pour voir s’il y avait des soldats en embuscade en avant de la marche qui se dirige toujours vers la tour de guet fortifiée de l’armée israélienne à l’entrée du village. Il y avait cinq ou six jeunes. Peu de temps après ils ont vu une douzaine de soldats qui venaient du sud et essayaient de se cacher en embuscade. Mohammed et un ami leur ont crié : “On vous voit !” Les soldats leur ont lancé des grenades lacrymogènes. Pendant ce temps les marcheurs se rapprochaient.
Les militaires se sont positionnés dans la «villa» une construction en pierre splendide mais pas encore termi¬née construite à la limite de Nabi Saleh par un riche exilé Palestinien qui vit en Espagne. Ce bâtiment est supposé devenir une clinique de santé alternative mais son ouverture a été retardée en raison de la situation. Des dizaines de villageois entouraient la “villa” sachant qu’il y avait des soldats à l’intérieur.
Mohammed Tamimi s’est approché du mur du bâtiment puis l’a escaladé. Il voulait vérifier s’il y avait encore des soldats à l’intérieur à la suite d’une rumeur selon laquelle ils étaient partis. Mais à l’instant où il est apparu au-dessus du mur il a reçu une balle de métal enrobée de caoutchouc tirée d’une distance de quelques mètres. Tamimi a eu juste le temps de voir le soldat braquer son fusil sur lui se souvient-il mais c’est tout ce dont il se souvient. Il est tombé au sol et les autres jeunes se sont précipités vers lui.

Tamimi était inconscient quand il a été embarqué dans une voiture privée et conduit à la clinique dans le village de Beit Rima. Son cousin Mohammed Tamimi un étudiant d’une vingtaine d’années était avec lui. Le cousin raconte que son homonyme a reçu les premiers soins à la clinique où le personnel a suggéré qu’il soit emmené à la clinique dans la ville de Salfit. Le cousin a refusé pensant qu’en raison de la gravité de la blessure la clinique ne serait pas en mesure de le traiter correctement. Le conducteur de l’ambulance palestinienne a averti que s’ils rencon¬traient un point de contrôle de l’armée israélienne les soldats risquaient d’arrêter l’adolescent blessé.
Les soldats au poste de contrôle à la sortie de Nabi Saleh ont ordonné à l’ambulance de s’arrêter. Tamimi le cousin se souvient que les soldats étaient agressifs et extrêmement nerveux et ont braqué leurs armes sur lui. Ils ont vu la l’état du garçon. Le cousin leur dit: «Vous avez 30 secondes pour décider : soit vous l’emmenez dans un hôpital israélien soit vous nous laissez passer».
Tamimi rapporte qu’une ambulance militaire était garée à côté du poste de contrôle. Un des soldats a consulté quelqu’un par radio puis a ordonné à l’ambulance de se diriger vers Ramallah refusant d’autoriser le blessé à entrer en Israël pour y recevoir un traitement médical. “Dégage” a répondu le soldat quand Tamimi essaya de le persuader de permettre à son cousin d’être transféré dans un hôpital en Israël.
L’ambulance a accéléré vers l’hôpital Istishari une nouvelle institution privée à Ramallah. Les parents de Mohammed qui étaient entre-temps allés au poste de contrôle de Nabi Saleh dans un état de panique ont été refoulés par les soldats sous la menace d’une arme même après avoir essayé d’expliquer que leur fils avait été grièvement blessé. Ils ont dû prendre une route détournée vers l’hôpital.
L’état de Tamimi semblait sérieux; il souffrait d’hémorragies intracrâniennes. Tant son cousin que son père disent maintenant qu’ils étaient certains qu’il ne survivrait pas. Des spécialistes ont été convoqués et ils ont décidé d’opérer. Personne ne savait alors combien de lésions cérébrales il avait subies. Un appel aux dons de sang lancé via Facebook a fait affluer beaucoup de gens à l’hôpital. L’opération chirurgicale a duré six heures toute la nuit. Des photos du garçon couché inconscient à l’hôpital raccordé à de multiples tubes ont été diffusées sur les réseaux sociaux le lendemain. Environ 24 heures plus tard Tamimi a commencé à reprendre conscience et bientôt il fut capable d’identifier ceux qui l’entouraient. Maintenant tout le monde appelle cela un miracle.
Mohammed Tamimi a été renvoyé chez lui environ une semaine plus tard. Pour autant qu’on le sache il n’a subi aucun dommage moteur ou cognitif.
Le bureau du porte-parole de l’armée israélienne a déclaré cette semaine à Haaretz : «Le vendredi 15 décembre des troubles ont éclaté impliquant quelque 200 Palestiniens qui ont mis le feu à des pneus et lancé des pierres sur les forces de Tsahal près du village de Nabi Saleh. Les troupes ont utilisé des moyens de dispersion de la foule pour disperser le rassemblement. Nous sommes au courant de la plainte du bureau de coordination et de liaison du district selon laquelle un Palestinien a été blessé et évacué pour recevoir des soins médicaux dans le village».
Tamimi se blottit à côté de son père qui est revenu du travail et se moque de son fils. Le garçon s’endort bientôt. La maison voisine sur la colline la maison d’Ahed Tamimi est déserte. Ahed et sa mère Nariman sont en détention. Le père Bassem est avec eux au tribunal pour leur remonter le moral pendant que l’acte d’accusation contre eux est lu.

Gideon Levyle journaliste le plus haï d’Israël est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du quotidien Haaretz. 
Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008 le prix LeipzigFreedom en 2001 le prix Israeli Journalists’ Union en 1997 et le prixde l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Il est l’auteur dulivre The Punishment of Gaza qui a été traduit en français : Gazaarticles pour Haaretz 2006-2009 La Fabrique 2009

L’article de Gideon Levy ci-dessus a été publié par Haaretz le 5 janvier 2018.
Traduction : Luc Delval  pour  http://www.pourlapalestine.be

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