Déjà que dans le bazar de Tunis il ne reste plus qu’un Tunisien plus très jeune par ailleurs à fabriquer des tarbouches à la manière locale et ancestrale – la plupart de ces autres couvre-chef nous venant de Pékin – voilà que le keffieh éminent symbole vestimentaire de la résistance palestinienne est en voie de passer sous domination chinoise !
Certes le célèbre foulard avait depuis longtemps abandonné son code graphique noir et blanc pour s’adapter à d’autres clientèles se déclinant en une myriade de couleurs plus ou moins exotiques même si le noir et le blanc étaient malgré tout conservés. Financièrement le marché était juteux et les Chinois plus haut évoqués ne pouvaient que s’y intéresser.
Et tel que rappelé par notre confrère libanais L’Orient-Le Jour : « La concurrence chinoise a bien failli avoir sa peau il y a une dizaine d’années mais aujourd’hui le keffieh a retrouvé une nouvelle jeunesse il se décline dans toutes les couleurs et est même devenu un accessoire à la mode à travers le monde. Le flair d’une famille d’Hébron la ville de Cisjordanie occupée où l’affrontement avec les colons israéliens est le plus tendu y est pour beaucoup. »
Ainsi « En 1961 Yasser Hirbawi qui faisait jusque-là venir de Syrie et de Jordanie des keffiehs pour les vendre décide de lancer sa propre production. À l’époque deux ouvriers fabriquent sur deux métiers à tisser le fameux foulard blanc strié de noir. Aujourd’hui ses fils sont à la tête d’une entreprise qui emploie quinze personnes et exporte des keffiehs fièrement estampillés “Made in Palestine”. Chaque année ils en vendent 30 000 dont 2 à 3 % en Palestine »…
Le reste étant exporté dans le vaste monde par quelque moyen que ce soit. Pour la petite histoire on rappellera que ce sont les occupants anglais qui l’ont popularisés décrétant que « tous ceux portaient ce foulard bédouin étaient des opposants ». De fait nombreux furent ceux à l’arborer ; ce qui faisait malgré tout beaucoup de monde. Dont un certain Yasser Arafat que ce soit à la tribune de l’ONU ou dans les jardins de la Maison blanche à l’occasion de la signature des Accords d’Oslo en présence du président américain Bill Clinton ou du premier ministre
israélien Yitzhak Rabin. On notera à propos du défunt chef de l’OLP que son keffieh était arrangé de telle sorte qu’il puisse dessiner la carte de la Palestine !
L’Orient-Le jour toujours : « Arafat offrait des keffiehs à ses visiteurs de marque et aujourd’hui encore des keffiehs qui sortent de notre usine sont offerts par son successeur Mahmoud Abbas. »
Début des années 2000 les métiers à tisser palestiniens ne sont plus “compétitifs” ; et les Chinois
se mêlent de la partie. Mais si l’usine de la famille Hirbawi baisse alors le rideau ses descendants eux ne baissent pas les bras… Et de déclarer à l’AFP : « On ne pourra jamais doubler les Chinois sur les prix donc on a décidé de tout miser sur la qualité ! »
Et ça marche…
Alors si nos lecteurs et lectrices succombent à la mode de ce foulard s’accordant avec tout costumes ou
robes de soirées jeans ou blousons de cuir qu’ils n’hésitent pas. Un keffieh
oui ! Mais un keffieh palestinien fabriqué en Palestine et par des Palestiniens ! Et non pas par ces Chinois de plus en plus envahissants…
Jean France-Martin
