Thu 4-July-2024

Pourquoi les Européens ne disent-ils pas qu’Israël est un État d’apartheid ?

jeudi 25-avril-2019

L’apartheid israélien n’est pas si différent de celui qu’a vécu l’Afrique du Sud tant en termes de politique que de violence.
L’apartheid est bien vivant et il prospère en Palestine occupée.
Les Palestiniens le savent. Les Sud-Africains le savent. De nombreux Israéliens ont accepté que cela fasse partie du débat politique. Les Américains s’y font petit à petit et des nouvelles voix au Congrès et des ONG comme Jewish Voice for Peace n’ont pas peur de dire la vérité à ce sujet (*).
Il n’y a qu’en Europe qu’il y a un déni constant de l’apartheid israélien à l’égard des Palestiniens malgré les preuves accablantes qui en attestent.
Les restrictions imposées par Israël à la liberté de circulation dans le territoire palestinien occupé sont une résurrection des lois sud-africaines honnies sur les laissez-passer qui criminalisaient le fait pour les Sud-Africains noirs de se trouver sans permis ni laissez-passer dans une ville « blanche ». La politique israélienne de transferts forcés de population et de destruction de maisons ressemble au transfert des Noirs hors des zones occupées exclusivement par les blancs pendant l’apartheid en Afrique du Sud.
Les forces de sécurité israéliennes se livrent à des tortures et des violences qui dépassent les pires pratiques de l’appareil de sécurité sud-africain. Et les palestiniens subissent des humiliations constantes dans les territoires occupés tout comme les Noirs en Afrique du Sud.
La rhétorique raciste qui circule dans le débat public israélien choque même ceux qui étaient habitués au langage de l’apartheid en Afrique du Sud. Le brutal discours raciste qu’on a entendu pendant la campagne électorale israélienne lors des dernières élections n’a jamais eu d’équivalent en Afrique du Sud.
Bien sûr il y a des différences entre les histoires les religions la géographie et la démographie mais les deux situations correspondent à la définition universelle de l’apartheid. En droit international l’apartheid est un régime étatique de discrimination raciale institutionnalisée et légalisée et d’oppression d’un groupe ethnique par un autre groupe ethnique hégémonique.
À certains égards l’apartheid en Afrique du Sud a été pire. À d’autres égards l’apartheid israélien en Palestine occupée est pire. Il ne fait pas de doute que l’application israélienne de l’apartheid en Palestine occupée est plus militaire et plus brutale. L’apartheid en Afrique du Sud n’a jamais imposé un blocus à toute une communauté noire ni tué méthodiquement des manifestants comme Israël le fait actuellement le long de sa clôture avec Gaza.
Ces faits sont bien connus. Nul ne peut prétendre ignorer la répression que font subir au peuple palestinien l’armée d’occupation israélienne et les colons juifs s’il suit l’actualité. Il est de notoriété publique que deux systèmes juridiques différents sont appliqués aux colons et aux Palestiniens engendrant une séparation de fait et des statuts juridiques profondément inégaux.
Pourquoi alors les Européens nient-ils systématiquement l’existence de l’apartheid en Palestine occupée ? Pourquoi continuent-ils de faire des affaires avec Israël comme si de rien n’était ? Pourquoi l’Eurovision va-t-il avoir lieu à Tel Aviv ? Pourquoi l’Europe vend-elle des armes à Israël fait-elle du commerce avec lui même avec ses colonies illégales entretient-elle des liens culturels et éducatifs ? Pourquoi Israël n’est-il pas soumis au même ostracisme que l’Afrique du Sud et les institutions sud-africaines blanches qui étaient complices de l’apartheid ?
Pourquoi y a-t-il eu des sanctions contre l’Afrique du Sud de l’apartheid tandis qu’aujourd’hui les gouvernements européens prennent au contraire des mesures pour criminaliser le mouvement non violent de boycott désinvestissement et sanctions (BDS) qui lutte pour la liberté la justice et l’égalité des droits des Palestiniens ?
Il y a trois explications à cette énigme.
Premièrement les lobbies pro-israéliens de nombreux pays européens sont aussi efficaces que leurs homologues américains tout en étant moins voyants.
Deuxièmement il y a la culpabilité de l’Holocauste. La politique de certains pays comme les Pays-Bas à l’égard d’Israël est toujours influencée par la culpabilité de ne pas avoir fait davantage pour sauver les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Troisièmement et c’est le plus important il y a la peur d’être traité d’antisémite. Mis en avant et manipulé par Israël et les lobbies israéliens le concept d’antisémitisme a été élargi pour recouvrir non seulement la haine des juifs mais aussi la critique de l’apartheid israélien.
Dans le cas de l’Afrique du Sud le président PW Botha était détesté parce qu’il mettait l’apartheid en œuvre et non parce qu’il était Afrikaner. Il semble évident que de la même manière si beaucoup de gens détestent le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu c’est parce qu’il impose l’apartheid et non parce qu’il est juif. Mais on fait de moins en moins la distinction en Europe. Critiquer le gouvernement israélien pour sa politique d’apartheid est désormais considéré comme de l’antisémitisme. Il devient donc dangereux et imprudent de critiquer Israël.
En Europe la critique de l’apartheid de l’Afrique du Sud était considérée comme une bonne chose. Le Mouvement contre l’apartheid qui militait pour le boycott des exportations du commerce du sport des artistes et des universitaires sud-africains a été soutenu et n’a subi aucune restriction. Les gouvernements ont imposé différents types de sanctions dont un embargo sur les armes. Les manifestations publiques contre l’apartheid faisaient partie de la vie universitaire.
Mais celui qui critique les politiques discriminatoires et répressives d’Israël risque fort d’être accusé d’antisémitisme ce qui aura de graves conséquences sur sa carrière et sa vie sociale. Par conséquent il y a moins de manifestations contre l’apartheid israélien sur les campus européens et moins de soutien populaire au BDS. Même des personnalités publiques qui critiquent Israël sont accusées d’antisémitisme comme en témoigne la chasse aux sorcières contre des membres du Parti travailliste britannique.
Tant que les Européens n’auront pas le courage de faire la distinction entre la critique des politiques d’apartheid d’Israël et le véritable antisémitisme – c’est-à-dire la haine des Juifs – l’apartheid continuera à prospérer en Palestine occupée avec la complicité pleine et entière de l’Europe.

* John Dugard est professeur émérite aux universités deLeiden et du Witwatersrand. Il a été rapporteur spécial sur les droitsde l’homme dans les territoires palestiniens occupés et il est l’auteurdu livre « Confronting Apartheid: A personal history of South Africa Namibia and Palestine »

17 avril 2019 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

Lien court:

Copied