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Réfugiés au Liban : «On nous a tout pris même le droit d’être acteurs de nos révoltes»

dimanche 20-mai-2018

Dans les camps palestiniens au Liban la colère avait plusieurs facettes en ce 14 mai jour de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem. Un mélange de frustration et d’impuissance prédominait chez ces réfugiés réduits à suivre la détresse de leurs compatriotes gazaouis à la télévision.

AIN AL-HILWEH BURJ EL-BARAJNEH
– À peine 250 kilomètres séparent le plus grand camp de réfugiés palestiniens du Liban Ain al-Hilweh de Gaza. Pourtant isolés dans leurs camps de l’autre côté de l’une des frontières les plus surveillées de la planète tous se sentent à des milliers de kilomètres des événements en cours.
Dans ce dédale de rues miséreuses où chacun rêve du grand jour – celui de leur retour en Palestine – ce 14 mai 2018 est une journée noire. Les images du bain de sang à Gaza mais aussi de la brutale répression de l’armée israélienne à Bethlehem et Qalandia tournent en boucle sur la chaîne libanaise Al Mayadeen.
Ici aussi la colère est palpable. Mais c’est surtout l’impuissance qui domine.

Une vie à attendre

La situation des Palestiniens au Liban est particulièrement critique. Peut-être encore plus au sein du camp d’Ain al-Hilweh. Il est difficile de savoir combien de personnes vivent dans ce périmètre d’15 km². Si les estimations officielles évoquent actuellement plus de 70.000 habitants – contre 10.000 à sa création en 1948 – ses habitants l’assurent : l’arrivée des Syriens combinée avec la croissance démographique ont élevé le nombre de résidents à plus de 100.000 personnes.
Ain al-Hilweh est donc devenu une véritable ville articulée autour d’un labyrinthe de ruelles bruyantes et chaotiques où chaque mouvance politique occupe et défend son territoire.
C’est en spectateur impuissant que Youssef Rabbeh un habitant de 28 ans a assisté dans un café aux premières balles tirées à la frontière gazaouie. Comme beaucoup de jeunes Palestiniens déçus des années de gouvernance du Fatah le cœur de Youssef penche vers le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) le seul parti qui selon lui « se démarque des autres ».
La situation dans le camp est tendue depuis plusieurs décennies et pour cause : la présence de mouvances islamistes a fait de ce périmètre une zone très instable. « Déjà dans les années 90 il y a eu des affrontements entre le Fatah et le groupe salafiste Usbat al-Ansar qui était désigné comme groupe terroriste par le gouvernement libanais ; l’enjeu était alors de savoir qui allait contrôler le camp » raconte le jeune homme.
Plus tard dans les années 2000 différents groupes vont prospérer comme Jund al-Sham et Fatah al-Islam rapidement rejoints par des islamistes sunnites venus du nord du Liban. Un nombre important d’entre eux parmi les plus dangereux vont par la suite migrer vers Idleb afin de se battre aux côtés du Front al-Nosra offrant ainsi un répit aux habitants du camp.
Mais Fatah al-Islam reste néanmoins un acteur important de la vie du camp d’autant que ses membres semblent avoir quelque peu normalisé leur situation : « Ils attirent de plus en plus de monde non pas pour leur idéologie mais parce qu’ils ont beaucoup d’argent » explique un jeune homme souhaitant rester anonyme.
Youssef poursuit : « Fatah al-Islam respecte le FPLP bien que nous soyons communistes et donc opposés à leur vision des choses. Nous pouvons aller dans leur quartier. Mais pour les membres du Fatah c’est toujours impossible ».
À Ain el-Hilweh la population est majoritairement armée. Le drame de Sabra et Chatila est encore dans toutes les têtes. « Nous avons toujours peur d’être attaqués par les libanais les plus réactionnaires. Si nos armes étaient rendues nous deviendrions très vulnérables » affirme le jeune homme à MEE.
Depuis l’accord libano-palestinien du Caire du 3 novembre 1969 les forces de sécurité libanaises n’entrent pas dans le camp qui est désormais totalement entouré par un mur de plusieurs mètres de haut. L’armée libanaise contrôle en revanche l’accès au camp ainsi que la sortie des habitants et les importations ce qui complique la vie de ses occupants. Dans un pays très divisé politiquement la question des camps Palestiniens ne semble plus être un enjeu majeur.

Burj el-Barajneh l’urgence au quotidien

Au cœur d’une banlieue sud de Beyrouth sous le contrôle du Hezbollah à quelques centaines de mètres de l’aéroport Rafic Hariri le camp de Burj el-Barajneh a lui aussi vu sa population augmenter de manière exponentielle ces dernières années.
« Bienvenue à Burj el-Barajneh » lance Zainab avec un sourire un peu désabusé. Immédiatement les yeux de la jeune fille se lèvent vers les centaines de câbles enchevêtrés au-dessus de nos têtes qui vont jusqu’à cacher dans certaines rues la vue du ciel.
Ici aussi les Palestiniens assistent médusés à cette déferlante de larmes et de sang qui inonde les téléviseurs. « C’est un massacre. Regardez les images. Regardez les photos que nous recevons. Personne ne peut contredire cela » s’exclame celui que l’on appelle ici Abou Tareq. Il est responsable de l’un des deux comités de surveillance du camp. Ici non plus l’armée libanaise n’entre pas et les Palestiniens doivent organiser leur propre sécurité.
Il est à peine 18 heures quand le leader du Hezbollah Hassan Nasrallah prend la parole à la télévision. Dans un contexte politique et géopolitique explosif les Palestiniens l’écoutent avec attention. L’un d’entre eux s’exclame : « Ici nous sommes spectateurs. Nous ne pouvons rien faire. On nous a tout pris même le droit d’être acteurs de nos révoltes ».
Dans ce camp d’un kilomètre carré près de 45.000 personnes s’entassent dont environ « 30 % de gens en provenance de Syrie qu’ils soient des réfugiés palestiniens ou tout simplement des Syriens ayant fui la guerre » commente Abou Tareq.
Son compagnon Abou Abdallah responsable du FPLP dans le camp fustige le traitement réservé aux Palestiniens par le gouvernement libanais : « La situation économique dans le camp est en dessous de zéro. Les lois libanaises interdisent l’accès au monde du travail à beaucoup de Palestiniens puisque la plupart des métiers nous sont interdits. Personne ne peut acheter une maison en dehors des camps. Tout est contrôlé ».
La nuit tombe sur le camp. Les deux hommes nous mènent dans un dédale de ruelles très étroites. Il n’y a plus de couverture téléphonique. Nous évoluons dans un labyrinthe sombre et obscur où s’entrecroisent enfants et hommes armés.
Au coin d’une allée est accroché le portrait d’Adnan Ryhana un jeune Syrien de 12 ans. Originaire de Homs il avait fui la guerre avec sa famille. Il est mort quelques jours plus tôt électrocuté par une installation de fortune au détour d’une ruelle. Sa famille est inconsolable : « Nous sommes venus au Liban pour ne pas mourir en Syrie. Et c’est ici dans l’indifférence la plus totale que notre enfant est mort » confie son père à MEE.
Abou Tareq reprend : « Nous avons recensé sur ces sept dernières années cinquante-et-une personnes mortes électrocutées. Nous avons aussi nos martyrs. Les martyrs de l’électricité ».

« Perdre espoir cela serait se rendre »

Pour un certain nombre de Palestiniens du Liban le déplacement de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem est vu dans une autre optique : « L’ambassade américaine à ‘’Tel Aviv’’ se situait déjà sur notre terre sur celle de nos familles » s’insurge Abou Abdallah. Cette terre ils en rêvent tous encore 70 ans jour pour jour après l’exode forcé de leurs familles.
Youssef Rabbeh est l’un des rares Palestiniens du Liban à avoir pu la fouler ces dernières années. Membre d’une organisation internationale travaillant avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) il a pu bénéficier d’un permis de quelques jours avec une poignée de jeunes réfugiés palestiniens vivant en Syrie et en Jordanie pour se rendre en Cisjordanie occupée.
Un sentiment qu’il a du mal à décrire : « C’était un rêve. Mais je l’ai vécu comme visiteur alors que je suis complètement palestinien… C’était un sentiment très puissant. J’ai beaucoup pleuré ».
Abou Tareq et Abou Abdallah tâchent malgré tout d’être optimistes : « Nous attendons de pouvoir retourner en Palestine. C’est notre pays ». Les deux hommes tout comme l’écrasante majorité des Palestiniens ne veulent pas devenir Libanais. Et même s’ils le voulaient au regard des lois du pays du Cèdre cela leur serait totalement impossible.
Youssef conclut : « Je suis déçu des partis politiques palestiniens et de l’impasse dans laquelle nous sommes après 70 ans. Mais je ne perds pas espoir. Perdre espoir serait se rendre ».

Cet article a été publié par Middle East Eye en Français le 15 mai 2018.

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