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« POURQUOI JE PARTICIPE À LA GRANDE MARCHE DU RETOUR À GAZA »

mercredi 2-mai-2018

En introduction un communiqué de Jean Marlowe auteure réalisatrice étasunienne
Sattle Le 27/04/2018
Je suis heureuse de partager avec vous l’article « Pourquoi je marche à Gaza » du New York Times écrit par mon cher ami et collègue Fadi Abu
Shammalah coproducteur du film « Naila et l’Insurrection » produit par Just Vision.
Merci de diffuser largement
Il y a trois ans j’ai eu l’immense privilège de voyager à Gaza pour y interviewer des femmes animatrices de la Première Intifada pour le documentaire produit par Just Vision « Naila et l’Insurrection ». Une partie de ma tâche consistait à trouver sur place une équipe avec laquelle travailler sur la production. Je n’aurais pas pu être plus chanceuse que de rencontrer Fadi Abu Shammalah qui est devenu coproducteur du film. Au cours de plusieurs voyages à Gaza j’ai retrouvé Fadi j’ai été invitée chez lui j’ai déjeuné avec ses parents je me suis liée d’amitié avec sa merveilleuse épouse et j’ai partagé des moments de jeux avec ses garçons chéris.
Alors vous pouvez imaginer ma préoccupation quand Fadi m’a dit qu’il participerait à la Grande Marche du retour à Gaza. Mais j’ai rapidement réalisé que nous avions beaucoup à apprendre de Fadi. Nous lui avons demandé s’il accepterait d’écrire un article sur les raisons pour lesquelles un père aimant ses trois enfants était prêt à risquer sa vie en participant aux manifestations. Quelles étaient ses motivations ses peurs ses aspirations ?
Nous sommes absolument ravis que la voix de Fadi soit maintenant partagée avec des millions de personnes grâce à cet article publié ce matin dans le New York Times. Le public américain a absolument besoin d’entendre son point de vue.
En solidarité et en lutte
Jen Marlowe
Auteure réalisatrice
Chargée de communication associée Just Vision Productions
Coproductrice du film « Naila et l’insurrection »
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Pourquoi je marche à Gaza
Fadi Abu Shammalah 27 avril 2018
Fadi Abu Shammalah est le directeur exécutif de l’Union générale des centres culturels de Gaza.
KHAN YOUNIS Bande de Gaza
Tôt dans la matinée du 30 mars mon fils Ali âgé de 7 ans a vu que je me préparais à sortir. C’était inhabituel pour un vendredi.
« Où vas-tu papa? »
– « À la frontière. Participer à la Grande Marche du Retour. »
La Grande Marche du Retour est le nom donné aux 45 jours de protestation le long de la frontière entre Gaza et Israël. Elle a commencé le 30 mars le « jour de la terre » commémorant les massacres de six Palestiniens d’Israël qui avaient protesté contre les confiscations de terres en 1976 et se clôturera le 15 mai jour du 70e anniversaire de la Nakba qui commémore le déplacement massif de Palestiniens pendant la guerre de 1948 qui conduit à la création de l’État d’Israël.
« Puis-je venir avec toi? » a demandé Ali. Je lui ai dit que c’était trop dangereux. Si on en croyait les avertissements militaires israéliens le risque que des manifestants non armés soient abattus par des tireurs d’élite israéliens était trop élevé. « Pourquoi y vas-tu si tu peux te faire tuer ? » s’empressa de demander Ali.
Sa question ne quittait pas mon esprit alors que je me rendais au campement près de la frontière à l’est de Khan Younis la ville du sud de Gaza où je vis. Elle est restée dans mes pensées les vendredis suivants alors que je continuais à participer à la Marche et elle y est encore présente maintenant.
Ma vie me ravit. Je suis le père de trois merveilleux enfants (Ali a deux frères l’un de 4 ans Karam et l’autre Adam vient de naître) je suis marié à une femme que je considère comme mon âme soeur.
Mes craintes ont été confirmées : 39 manifestants ont été tués depuis le début de la Marche beaucoup par des tirs de snipers y compris un gamin de 15 ans la semaine dernière et deux autres adolescents le 6 avril. Israël refuse de rendre les corps de deux de ces tués.
Des milliers d’autres ont été blessés. Les journalistes ont été visés ; 13 d’entre eux ont reçu des balles depuis le début des manifestations y compris Yasser Murtaja un photographe âgé de 30 ans et Ahmed Abu Hussein 25 ans qui est décédé mercredi des suites de ses blessures.
Alors pourquoi suis-je prêt à risquer ma vie en rejoignant la Grande Marche du Retour ?
Il y a plusieurs réponses à la question d’Ali.
Je crois foncièrement à la stratégie de la Marche mouvement de masse pacifique conduit par des civils. J’ai aussi été impressionné par la façon dont le mouvement a uni le peuple palestinien de la Bande de Gaza politiquement divisé. Et la Marche est un moyen efficace de mettre en évidence les conditions de vie insupportables auxquelles sont confrontés les habitants de la Bande de Gaza : quatre heures d’électricité par jour l’indignité de voir notre économie et nos frontières soumises à un siège la peur du bombardement de nos maisons.
Mais la raison principale pour laquelle je participe est que dans quelques années je veux pouvoir regarder Ali Karam et Adam dans les yeux et leur dire :
«Votre père faisait partie de cette lutte historique et non-violente pour notre patrie. »
Les médias occidentaux ont couvert la Grande Marche du retour en se focalisant sur les images de jeunes jetant des pierres et brûlant des pneus. L’armée israélienne décrit l’action comme une provocation violente du Hamas une affirmation à laquelle de nombreux analystes ont aveuglément adhéré. Ces descriptions sont en totale contradiction avec mon expérience du terrain.
Des membres de l’Union générale des centres culturels de Gaza organisation non gouvernementale dont je suis le directeur exécutif ont participé aux réunions de préparation de la Marche qui comprenaient des représentants de toutes les composantes de la société civile et politique de Gaza. A la frontière je n’ai pas vu un seul drapeau du Hamas une seule bannière du Fatah ni d’affiche du Front populaire de libération de la Palestine d’ailleurs – attirail répandu dans pratiquement toutes les autres manifestations auxquelles j’ai assisté. Ici nous n’avons déployé qu’un drapeau – le drapeau palestinien.
Certes les membres du Hamas participent à la Marche car ils font partie de la communauté palestinienne. Mais cette participation indique peut-être qu’ils pourraient s’éloigner d’une conception de la libération de la Palestine par des moyens militaires et qu’ils commenceraient à opter pour la protestation civile populaire et non armée. Mais la Grande Marche du Retour n’est pas l’action du Hamas. C’est la nôtre.
Et notre action est loin de se résumer à des pneus brûlés ou à des jeunes jetant des pierres sur des soldats stationnés à des centaines de mètres de là. La résistance dans les campements a été créative et belle. J’ai dansé le dabke la danse nationale palestinienne avec d’autres jeunes hommes. J’ai dégusté des spécialités culinaires traditionnelles comme le msakhan (poulet rôti aux oignons au sumac et aux pignons de pin) et le maftool (un plat à base de couscous).
J’ai chanté des chants traditionnels avec d’autres manifestants et je me suis assis avec les anciens qui échangeaient des anecdotes sur la vie d’avant 1948 dans leurs villages natals. Certains vendredis des cerfs-volants ont sillonné le ciel et d’autres vendredis des drapeaux ont été hissés sur des perches de 25 mètres de haut pour être clairement visibles de l’autre côté de la frontière.
Tout cela se déroulait sous les lunettes de visée des fusils des tireurs d’élite israéliens stationnés à environ 700 mètres. Nous étions tendus nous avions peur – en effet il m’est arrivé de me trouver à proximité de personnes qui se faisaient tirer dessus et au milieu des nuages de gaz lacrymogènes – mais nous étions joyeux. Le chant la danse les récits les drapeaux les cerfs-volants et l’art culinaire sont plus que des symboles de notre patrimoine culturel.
Ils démontrent – clairement résolument passionnément et pacifiquement – que nous existons que nous demeurerons que nous sommes des êtres humains avec la dignité due aux êtres humains et que nous avons le droit au retour dans nos foyers. J’ai envie de dormir sous les oliviers de Bayt Daras mon village natal (ville palestinienne située à 30 kilomètres au nord-est de Gaza qui a été vidée de ses habitants en 1948 – ndt). Je veux montrer à Ali Karam et Adam la mosquée dans laquelle mon grand-père a prié. Je veux vivre paisiblement dans ma maison familiale avec tous mes voisins qu’ils soient musulmans chrétiens juifs ou athées.
Les habitants de Gaza ont subi une tragédie après l’autre : des vagues de déplacements massifs la vie dans des camps de réfugiés sordides une économie piratée un accès restreint aux zones de pêche un siège asphyxiant et trois guerres au cours de ces neuf dernières années. Israël a imaginé qu’une fois la génération qui a connu la Nakba disparue les jeunes renonceraient à notre rêve de retour. Je crois que c’est en partie pour cela qu’Israël maintient Gaza au bord de la catastrophe humanitaire – nos vies réduites à une lutte quotidienne pour la nourriture l’eau les médicaments et l’électricité nous ne serions plus en état de nous soucier de plus nobles aspirations. La Marche prouve que ma génération n’a pas l’intention d’abandonner les rêves de son peuple.
La Grande Marche du retour a galvanisé mon optimisme mais je reste réaliste. La Marche seule ne mettra pas fin au siège et à l’occupation ne résorbera pas l’énorme déséquilibre des forces entre Israël et les Palestiniens ni ne réparera les torts historiques. L’engagement se poursuit jusqu’à ce que tous les êtres humains dans la région puissent partager les mêmes droits. Mais je ne pouvais pas être plus impressionné par mon peuple ou être fier de lui – nous voir unis sous un même drapeau avec une approbation quasi unanime des moyens pacifiques pour réclamer nos droits et affirmer notre humanité.
Tous les vendredis jusqu’au 15 mai je continuerai à aller aux campements pour envoyer un message à la communauté internationale décrivant les conditions désastreuses dans lesquelles je suis obligé d’élever mes fils. J’irai jusqu’à ce que je puisse apercevoir nos terres – nos arbres – de l’autre côté de la frontière militaire alors que les soldats israéliens me surveillent derrière leurs armes.
Si Ali me demande pourquoi je retourne à la Grande Marche du Retour malgré le danger je lui dirai ceci : J’aime la vie. Mais plus que ça je t’aime toi Karam et Adam. Si risquer ma vie signifie que toi et tes frères aurez une chance de grandir d’avoir un avenir digne de vivre en paix avec vos voisins dans un pays libre alors c’est un risque que je dois prendre.

Source : NY Times
Traduction : CSP07 pour l’Agence Média Palestine

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