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Jérusalem ou la paix selon Trump

dimanche 28-janvier-2018

Le contentieux israélo-arabe est aujourd’hui à un tournant crucial. Suite à la déclaration du président des États-Unis Donald Trump reconnaissant le 6 décembre dernier Jérusalem comme capitale d’Israël puis au voyage cette semaine du vice-président Mike Pence au Moyen-Orient – marqué par un boycott palestinien – de nombreuses voix se sont élevées pour annoncer la fin du processus de paix et du rôle américain comme « médiateur impartial ». Si ces réactions sont compréhensibles au vu du symbole politique et religieux de Jérusalem en réalité la paix est encore possible. La question étant bien sûr de savoir de quelle paix il s’agit.
Il faut d’abord noter que les négociations israélo-palestiniennes sont pour l’essentiel à l’arrêt depuis le sommet de Taba (début 2001) au cours duquel les deux parties semblaient s’être entendues (de manière « non officielle » et « non définitive ») sur les contours d’une paix essentiellement sur base des « paramètres de Clinton » rendus publics en décembre 2000 et portant sur les points de litige – colonies israéliennes frontières entre les deux États droit éventuel au retour – et en particulier sur Jérusalem. Il était notamment convenu que Jérusalem-Est où se trouvent les lieux saints serait partagée entre les deux États et que la ville deviendrait capitale à la fois d’Israël et de l’État palestinien. Ces éléments étaient entre autres consignés dans le document (« non paper ») rédigé par Miguel Angel Moratinos envoyé spécial de l’Union européenne.
Or si l’échec des négociations fut attribué aux carences de la direction palestinienne et à l’obstination de Arafat la réalité est plus complexe puisque ce sont les Israéliens qui mirent fin au sommet de Taba officiellement en raison des élections israéliennes imminentes; lesquelles virent la victoire d’Ariel Sharon qui mit purement et simplement fin aux négociations. Et si le processus s’est depuis lors enrayé suite aux événements du 11 septembre 2001 et à la crise qui secoue le monde arabo-musulman il reste que les conditions d’une paix semblaient pratiquement réunies.

« Relever » le prix de la paix

Cette constatation jette un nouvel éclairage sur la déclaration de Donald Trump reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël. Si par son caractère unilatéral et en apparence indifférent aux droits des Palestiniens elle a déclenché la colère du monde musulman ses termes exacts laissent paraître des nuances importantes. D’une part Trump ne fait qu’entériner sur le fond ce que les Palestiniens avaient presque accepté dans le principe il y a déjà près de vingt ans à savoir que Jérusalem soit capitale des deux États. Et donc de facto d’Israël. En outre il prend soin de préciser que les négociations entre Israéliens et Palestiniens sur le statut final de Jérusalem ainsi que les autres points en litige doivent impérativement se poursuivre et aboutir.
Comment alors interpréter sa déclaration ? En réalité loin de mettre fin au processus de paix celle-ci constitue une manœuvre pour le relancer. Ne nous y trompons pas : l’objectif d’Israël (et des États-Unis) est la normalisation avec le monde arabo-musulman et pour cela la « restitution » symbolique de Jérusalem à l’Islam constitue un passage obligé. En créant un fait accompli la déclaration de Trump revient donc à « relever » le prix que les Palestiniens et derrière les Arabes devraient payer pour obtenir la paix et une reconnaissance parallèle de Jérusalem comme capitale palestinienne. En outre en concentrant les regards sur la question de Jérusalem elle minimise l’importance des autres points (frontières colonies…) ce qui complique la tâche des Palestiniens et facilite celle d’Israël – qui peut désormais vendre très cher la « carte » de Jérusalem. Mais cela facilite aussi la tâche des Arabes « modérés » (Égypte Jordanie Arabie saoudite) qui en échange de cette restitution symbolique pourraient clamer victoire et forcer les Palestiniens à faire des concessions – de même que le « franchissement » du canal de Suez en 1973 avait rendu au président égyptien Sadate le prestige lui permettant d’aller à Camp David.

« Paris vaut bien une messe »

Or qu’ont dit les Égyptiens et les Jordaniens à Mike Pence ? Si le roi Abdallah de Jordanie a confirmé l’importance cruciale de Jérusalem le président Sissi s’est contenté lui de hocher la tête lorsque le vice-président américain a déclaré qu’il était pour une solution à deux États. Il semble en outre que les Américains soient en train de réfléchir à un plan de paix. Quelles sont leurs chances de succès ?
Du côté des États arabes sunnites « modérés » la partie est quasiment jouée ces derniers n’attendant pour la plupart qu’un prétexte pour initier une normalisation avec un allié potentiel face à la menace iranienne. De leur côté les Palestiniens s’ils élèvent le ton face aux États-Unis pourraient difficilement se passer de la seule superpuissance capable d’influencer Israël ou refuser une paix si les conditions en demeuraient acceptables. Enfin les Israéliens ne semblent eux pas s’opposer à une paix voire à un partage de Jérusalem-Est s’il leur ouvrait en échange les portes du monde arabe : si la loi votée le 2 janvier par la Knesset a relevé le seuil de voix (de 61 à 80) nécessaires pour céder toute parcelle de la ville elle autorise aussi la redéfinition (auparavant interdite) des frontières de la municipalité de Jérusalem ce qui pourrait à terme faciliter son partage. « Paris vaut bien une messe » dit l’adage.
C’est du côté du camp pro-iranien que les choses pourraient se compliquer. Car un règlement du conflit et une restitution symbolique de Jérusalem à l’Islam ôteraient au régime iranien une carte idéologique majeure au moment même où il fait face à un essoufflement interne. Fort de son influence majeure en Irak en Syrie et au Liban il pourrait donc être tenté par une action préventive en créant un schisme entre « pro » et « anti-israéliens » qui recouperait celui entre sunnites et chiites.
Cela ferait-il l’intérêt de Washington en divisant les protagonistes tout en ouvrant la route à un rapprochement entre sunnites « modérés » et israéliens ? Le régime iranien va-t-il au contraire évoluer pour rompre son isolement ? L’avenir le dira.

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