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Elevés pour se révolter

jeudi 30-novembre-2017

Le quartier Issawiyeh à Jérusalem Est occupée est depuis longtemps un haut lieu des confrontations entre ses habitants palestiniens et les soldats israéliens. Même selon les normes répressives d’Israël la répression à laquelle la ville a été soumise au cours des trois dernières années a été extrême.
En juillet 2014 et comme dans beaucoup de secteurs de Jérusalem la population de la ville – connue pour la ténacité de la résistance de ses jeunes aux incursions et aux provocations israéliennes – s’est dressée pour protester contre la mort brulé vif de l’adolescent palestinien Muhammad Abu Khudair. Des centaines de jeunes du village ont afflué à Shuafat le quartier de naissance de Muhammad pour participer à ses funérailles et aux manifestations qui ont suivi.

Des affrontements entre les jeunes et les soldats israéliens ont alors continué à Issawiyeh pour protester contre l’attaque israélienne sur Gaza cet été-là. En octobre 2014 les forces israéliennes ont imposé à la ville une semaine de bouclage fermant toutes ses entrées sauf une avec des blocs de béton.

Une série d’attaques individuelles menées par des Palestiniens en octobre 2015 a entrainé une nouvelle campagne israélienne de répression et de punition collective comprenant des arrestations de masse des démolitions punitives de logements de menaces de révocation de résidence de rétention de corps des martyrs de raids et de fermetures de plusieurs secteurs palestiniens de la cité.

Les principales entrées d’Issawiyeh ont été à nouveau bouclées. Les barrages routiers et les contrôles stricts des voitures entrant et sortant de la ville ont rendu insupportable la vie des 20.000 habitants d’Issawiyeh.

Les jeunes ont également été à l’avant-garde du mouvement de désobéissance civile qui a balayé la Vieille Ville de Jérusalem occupée en juillet 2017 en réponse à la décision d’installer des détecteurs de métaux à l’entrée de l’Esplanade des Mosquées.

« Les jeunes d’Issawiyeh ont rejoint le sit-in à Bab al-Asbat [la Porte des Lions] avant la prière de l’aube et rien n’a pu les intimider » a déclaré à The Electronic Intifada Zahra Qous infirmière qui vit dans la communauté afro-palestinienne de la Vieille Ville juste à côté de l’Esplanade des Mosquées.

« Mais il n’y eut pas que les jeunes. Pendant les deux semaines de sit-in les gens d’Issawiyeh ont préparé des repas pour les milliers de manifestants rassemblés dans la Vieille Ville et ont envoyé des dons » a-t-elle ajouté.

« La solidarité manifestée par les autres parties de Jérusalem en particulier Issawiyeh a été essentielle pour soutenir le mouvement et vaincre les mesures de sécurité draconienne d’Israël dans la mosquée. »

Une autre manière de résister

La famille Issawi est aussi profondément impliquée dans la résistance populaire que n’importe quelle autre à Issawiyeh.

Tareq 77 ans et Layla Issawi 70 ans ont une grande famille. Six de leurs enfants – Rafaat Medhat Samer Firas Shireen et Shadi – ont été emprisonnés par Israël à différents moments.

Un autre Fadi a été tué par des soldats israéliens lorsqu’il avait 16 ans pendant les manifestations qui ont eu lieu à Jérusalem en réponse au massacre de la Mosquée Ibrahimi à Hébron en 1994.

Tandis que Tareq racontait le rôle de sa ville pendant ces deux semaines de protestations à Jérusalem sa fille Shireen 38 ans avocate l’écoutait avec admiration. Elle était en prison lorsque les manifestations pour récupérer la mosquée Al-Aqsa ont éclaté en juillet 2017. Elle était également en prison pendant le bouclage de 2014 et le soulèvement de Jérusalem en octobre 2015.

Shireen a été détenue et incarcérée en même temps que son frère Medhat avocat lui aussi en mars 2014. Elle a été condamnée à quatre ans de prison Medhat à huit après avoir été reconnu coupable d’avoir fait passer de l’argent à des prisonniers politiques palestiniens et d’avoir communiqué avec des organisations interdites.

En fait ils ont été condamnés pour avoir fait leur travail.

« Quand les Palestiniens résistaient aux restrictions israéliennes à al-Aqsa je n’étais pas au courant. J’aurais aimé être dans les rues de la Vieille Ville alors mais je menais une autre forme de résistance » dit Shireen qui a été libérée le 17 octobre.

« J’étais en isolement. Les prisonniers en isolement sont privés de visites de leur famille ou de leur avocat et ne sont même pas autorisés à avoir la radio j’étais donc totalement coupée du monde extérieur. »

Pendant les trois ans et demi qu’elle a finalement passés en prison Shireen a dit qu’elle a été mise en isolement à 15 reprises.

« Chaque période d’isolement durait généralement deux mois donc vous pouvez faire le calcul. Et c’était toujours pour des raisons punitives » explique-t-elle. « J’ai été accusée à plusieurs reprises d’incitation contre les services pénitentiaires et de causer des problèmes. Chaque fois que les filles en prison avec moi renvoyaient les repas j’était punie et mise en isolement pour les avoir incitées à le faire. »

Est-ce un crime d’avoir chaud ?

Etre étiquetée fauteur de trouble par les autorités pénitentiaires est clairement un insigne d’honneur pour elle. Elle a admis avec joie qu’elle encourageait ses codétenus à revendiquer leurs droits et à affronter les gardiens israéliens pendant les raids dans les cellules tant à la prison Hasharon qu’à Damon où elle a été incarcérée.

« La majorité des filles [palestiniennes] arrêtées au cours des deux dernières années ont été accusées d’attaque à l’arme blanche ou de tentative et n’ont pas d’antécédent politique » dit-elle.

« Beaucoup des filles que j’ai rencontrées savaient peu de choses sur la cause nationale. Ce sont des enfants et elles sont généralement condamnées à de longues peines alors j’ai essayé de les soutenir et de les autonomiser d’élever leur conscience nationale et politique et de les éduquer. »

Tout comme Shireen a soutenu ses compagnes prisonnières elle a également tiré sa force de la détermination d’autres.

L’une d’entre elles était sa compagne de cellule à la prison Hasharon Isra Jaabis. Le 10 octobre 2015 Jaabis habitante du quartier Jabal al-Mukabbir de Jérusalem Est a été gravement brûlée au visage et au corps dans ce qu’elle et sa famille affirment avoir été l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz dans sa voiture. La police israélienne a toutefois prétendu qu’elle avait essayé de faire exploser une bombe près d’un checkpoint et elle a été condamnée à 11 ans de prison et privée de voir son fils Mutasim.

« Elle a pratiquement tout perdu mais elle tient pour son fils de 9 ans » dit Shireen. « C’est l’une des femmes les plus fortes que j’ai jamais vues une vraie combattante. »

Shireen était conscience que ses antécédents ainsi que son rôle de mentor et de leader en prison l’exposaient à une répression accrue. Les gardiens l’ont battue dit-elle et l’ont laissée avec le cou et un bras tuméfiés lors d’un raid dans sa cellule dans la prison Damon.

Elle ne pouvait pas recevoir de lettres de solidarité ni envoyer de lettres à ses frères emprisonnés Medhat et Samer dit-elle. Parmi les objets qui lui étaient interdits il y avait les couvertures et les vêtements en laine pendant l’hiver.

« Pourquoi limiter le nombre de couvertures que j’étais autorisée à avoir ou m’empêcher d’avoir des vêtements en laine ? » dit-elle. « Peut-être est-ce un crime pour les prisonniers d’avoir chaud ? »

Ivres de joie

Tareq Issawi le père de Shireen est soulagée qu’avec sa libération la famille ait une prison de moins à visiter.

« Chacun de mes enfants était détenu dans un établissement différent » dit Tareq. « Samer est détenu à Gilboa Medhat à Ketziot dans le Naqab et Shireen était soit à Hasharon soit à Damon. »

« Les longs voyages sont épuisants pour nous émotionnellement et physiquement » dit-il.

Medhat n’avait que 14 ans quand il a été arrêté pour la première fois. Maintenant à 43 ans il a passé plus de la moitié de sa vie – près de 23 ans – dans les geôles israéliennes.

« Sa fille de 5 ans le réclame » dit Layla. « Elle veut qu’il lui achète une glace qu’il l’emmène à la piscine et qu’il soit là pour son premier jour d’école. »

Layla se souvient de son fils comme d’un étudiant « incroyablement brillant » rêvant de devenir un scientifique nucléaire. Sa vie dit-elle a été « gaspillée derrière des barreaux. »

Et puis il y a Samer Issawi.

« Maintenant cela semble être un lointain souvenir mais ce fut le jour le plus heureux de notre vie » a déclaré Shireen à propos de la libération de Samer en décembre 2013. « Notre famille notre peuple notre Jérusalem étaient ivres de joie et la libération de Samer après une longue bataille fut l’un de ces moments rares. »

Emprisonné en 2002 et condamné à 30 ans de prison pour s’être engagé dans la résistance armée Samer a été libéré dans un échange de prisonniers entre le Hamas et Israël en 2011. Sa ré-arrestation l’année suivante l’a décidé à entamer une grève de la faim.

Pendant la grève de la faim de son frère Shireen – presque en solitaire au début – a lutté pour sa cause. Elle a fait campagne pour sa libération organisé des manifestations et mobilisé les Palestiniens pour soutenir la quête de liberté de son frère. Et la grève de la faim de Samer et les efforts de Shireen ont porté leurs fruits : en décembre 2013 il a été libéré pour la deuxième fois.

Trois mois après l’arrestation de Shireen et de Medhat cependant en juin 2014 Samer a été à nouveau arrêté. En mai 2015 un tribunal militaire israélien a alors réimposé sa sentence initiale de 30 ans.

Pas de pitié pour les enfants

Les plus jeunes membres de la famille Issawi n’ont pas été épargnés eux non plus. Le 24 juillet 2016 Fadi le neveu de Shireen qui avait alors 15 ans a été détenu par la fameuse police israélienne infiltrée. La rencontre l’a laissé avec un bras cassé.

Le 21 juillet 2017 un autre neveu et fils de Medhat Tareq a perdu l’œil droit après avoir été blessé par une balle caoutchouc-acier israélienne.

Tareq et Fadi faisaient partie des 27 mineurs palestiniens raflés pendant un raid de 12 heures de la police israélienne le 23 octobre un nombre d’arrestations sans précédent en une seule nuit même à Issawiyeh.

« Israël a lancé cette vague d’arrestations de masse probablement en représailles du rôle des jeunes d’Issawiyeh dans les manifestations d’al-Aqsa de juillet » dit Amjad Abu Asab chef du Comité des familles de prisonniers de Jérusalem. « Ca s’est produit après un mois d’attaques contre les écoliers qui se rendaient à l’école et en revenaient ce qui a forcé le comité local d’Issawiyeh à déclarer une grève de l’école.

Selon Abu Asab 41 enfants et jeunes hommes ont été arrêtés pendant le raid du 23 octobre à Issawiyeh. La plupart d’entre eux ont été libérés le lendemain dont Fadi et Tareq Issawi.

Le jeune Tareq devait subir une intervention chirurgicale pour son œil droit ce jour là et l’opération a dû être reportée.

Tareq Issawiyeh n’est pas peu fier d’accuser sa femme pour le comportement de leurs enfants.

« C’est elle qui a élevé ses enfants et ses petits-enfants pour qu’ils se révoltent et continuent de résister » déclare-t-il. « Et c’est elle qui nous maintient forts malgré les arrestations malgré l’ordre de démolition de notre maison et malgré la souffrance. »

Layla Issawi est une femme qui en impose. Elle a déjà giflé un gardien de prison israélien pendant l’audience d’un de ses enfants emprisonnés.

« Je l’ai frappé parce qu’il a traîné Medhat et l’a fait trébucher et il m’a accusé d’apprendre à mes enfants à haïr les Israéliens » se souvient Layla.

« Mes enfants n’ont eu besoin de personne pour apprendre à détester leur occupant. Leur frère a été tué quand il était enfant. Leurs vies ont été broyées en détention et leurs terres ont été volées il est donc naturel qu’ils résistent. »

Et Shireen porte l’esprit de sa mère.

« Je n’ai jamais pensé même pendant une fraction de seconde que notre résistance et nos sacrifices étaient vains » déclare Shireen. « Le chemin vers la liberté est long et notre lutte ouvre la voie à la réussite des générations futures. »

Budour Youssef Hassan est une écrivaine palestinienne basée à Jérusalem.

http://www.ism-france.org

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