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Dans le camp Al-Amari avec les réfugiés palestiniens

dimanche 11-mars-2018

REPORTAGE. À douze kilomètres de Jérusalem vivent plus de 5 000 Palestiniens dont les parents ont été contraints de quitter leur terre à la création d’Israël.
Seuls seize kilomètres séparent Ramallah de Jérusalem. Entre les deux villes la route Al-Bireh Al-Qods mène du siège de l’Autorité palestinienne au checkpoint de Qalandia à huit kilomètres de là. Tenu par l’armée israélienne ce poste-frontière permet aux seuls résidents palestiniens de Jérusalem Arabes israéliens ou détenteurs d’un permis spécial délivré au compte-gouttes de pénétrer de l’autre côté du « mur de sécurité » dressé par les Israéliens et de rejoindre la partie orientale de la ville sainte occupée et annexée par Israël.
À mi-chemin à droite du carrefour érigé en hommage au « martyr Yasser Arafat » se dresse une grande arche. Située à côté d’une décharge elle marque l’entrée du camp de réfugiés Al-Amari. Établi en 1949 au lendemain de la création de l’État d’Israël il abrite des Palestiniens qui ont été expulsés ou ont fui leur terre en 1948 ainsi que leurs descendants. Il y a aujourd’hui 55 millions de réfugiés palestiniens au Proche-Orient.
Une chaussure abandonnée accueille le visiteur ainsi qu’une roquette dessinée sur le flanc de l’arche. L’artère principale est déserte. Les échoppes qui l’entourent sont vides. Il est vrai qu’en début d’après-midi le samedi – chômé en Palestine – les Palestiniens font généralement la sieste. C’est le cas de cet homme assoupi dans sa voiture. Quelques anciens assis sur un banc depuis la nuit des temps discutent. Et les enfants redonnent vie au camp.

Je n’ai rien à faire à Al-Amari

Assis sur des chaises qu’ils ont eux-mêmes disposées quatre minots sont animés par un débat passionné. Mais la discussion est bientôt interrompue par l’irruption d’un ballon qu’une jeune fille vient récupérer.
Hissées à la hâte en 1949 les tentes ont laissé place à des maisons construites en ciment dès 1957. Le camp d’Al-Amari est aujourd’hui un véritable village accueillant quelque 5 000 réfugiés palestiniens (10 000 selon l’UNRWA l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens).
Trônant sur la devanture de nombreux magasins le portrait de l’ancien raïs Yasser Arafat veille sur les habitants. Dans l’un d’entre eux une demi-douzaine d’enfants joue en réseau à Call of Duty le jeu de guerre phare de la console PlayStation. Ils sont surveillés par Mo’az un jeune homme sagement assis derrière un bureau. Âgé de vingt ans il avoue ne pas étudier ni travailler mais se dit expert en informatique.
Un homme à la démarche hésitante et au ventre bedonnant fait son apparition dans la pièce. Amiad 47 ans est venu donner aux enfants un cours de musique. Marié et père de quatre petits l’homme est né dans le camp d’Al-Amari. Ses parents s’y sont réfugiés après avoir été contraints de quitter leur village situé en périphérie de Jérusalem. « Je n’ai rien à faire à Al-Amari » soupire-t-il. « Je n’ai pas de travail. Le matin je me réveille je vais voir mes parents puis j’enseigne la musique aux enfants. »

Je n’ai qu’un souhait dans ma vie : retourner dans le village de mes parents

L’homme s’enfonce dans un dédale de ruelles où règnent saleté et ordures. Un chat maigrelet y a trouvé son paradis. Amiad enrage : « Ce n’est pas une vie ça ! » Au détour d’une petite rue entre deux portes des enfants ont improvisé un match de foot. Le patriarche leur demande de se pousser. L’un d’eux à peine âgé d’une dizaine d’années lui tient tête. Au mur les portraits de Yasser Arafat sont accompagnés de celui de son successeur Mahmoud Abbas président de l’Autorité palestinienne depuis 2005 dont la lutte pacifique pour obtenir la reconnaissance de l’État palestinien s’est soldée pour l’heure par un cuisant échec.
Amiad ne peut cacher sa déception : « Les politiciens pensent qu’ils peuvent jouer avec nous comme des pions » peste-t-il. Au bout du chemin surgit à nouveau la route Al-Bireh Al-Qods menant tout droit vers Jérusalem. La ville trois fois sainte a beau être distante de douze kilomètres seulement le Palestinien ne peut s’y rendre. Son dernier séjour remonte à cinq ans lorsqu’il avait bénéficié d’une autorisation spéciale pour le mois de ramadan. Mais il ne perd pas espoir pour autant : « Je n’ai qu’un souhait dans ma vie : retourner dans le village de mes parents. »
L’homme croise maintenant un groupe de jeunes adolescents proposant des fruits frais sur leur brouette. Mouad 19 ans vend des fraises et des melons qu’il fait gratuitement goûter à ses visiteurs. À la différence de beaucoup d’habitants d’Al-Amari sa famille originaire d’Hébron a fui la ville pour une affaire de meurtre et s’est réfugiée à Ramallah dans les années 1990. Né dans le camp voisin de Qadoura Mouad a rapidement quitté l’école pour vendre des fruits dès l’âge de neuf ans…

Mon problème est mon travail

Tout d’abord vendeur ambulant dans la rue en centre-ville de Ramallah il en a été chassé par les policiers de l’Autorité palestinienne et s’est résigné à travailler dans le camp d’Al-Amari où il gagne en moyenne 70 shekels (les Palestiniens utilisent la monnaie israélienne) soit 16 euros par jour. « Mon problème est mon travail » affirme-t-il. « Mon quotidien est mauvais et il en sera de même de mon futur. La politique je m’en fiche. » Le jeune homme sort un couteau de sa poche et le pointe vers un de ses amis avant d’éclater de rire et de l’enlacer.

Au fond du camp se dresse le bâtiment de l’UNWRA l’office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens dont une grande partie du budget a été ponctionné par Donald Trump. Entre les nombreux véhicules garés de part et d’autre de l’artère principale un 4×4 de luxe tente de se frayer un chemin suivi de près par une citadine de marque européenne qui se gare péniblement dans une ruelle adjacente. Confortablement installé dans sa voiture Imad revient d’une course et attend son prochain client.
Ce Palestinien de 48 ans lui aussi né dans le camp d’Al-Amari est chauffeur de taxi depuis quatre ans. Il explique avoir acheté son véhicule grâce à un crédit bancaire qu’il rembourse chaque mois avec les 100 shekels (24 euros) qu’il gagne chaque jour. Marié et père de quatre enfants Imad ne pense pas sortir un jour de ce camp. « Toute ma vie est ici » lâche-t-il en allumant une cigarette dans l’habitacle. « Je rêve de me rendre à Salamé dans le village d’origine de mes parents près de Yaffo [partie sud de Tel-Aviv NDLR] mais quand je vois le comportement d’Israël alors je perds tout espoir. »

« Droit au retour » théorique des réfugiés

En théorie les résolutions (non contraignantes) de l’Assemblée générale de l’ONU autorisent les réfugiés palestiniens à retourner sur les terres dont ils ont été expulsés ou qu’ils ont fuies. Mais en pratique la question du « droit au retour » est l’un des points d’achoppement des interminables négociations israélo-palestiniennes suspendues depuis 2014. Ce point paraît difficilement acceptable pour Israël car il pourrait compromettre le caractère « juif » de son État. « L’une des dimensions importantes de tout le processus qui doit amener à la solution à deux États est que précisément les réfugiés [palestiniens] puissent un jour avoir le choix [de retourner dans leur pays] » explique au Point Pierre Krähenbühl commissaire général de l’UNRWA.
Or avec la poursuite tous azimuts de la colonisation en territoire palestinien additionnée à la décision de Donald Trump de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem la résolution du conflit via la création d’un État palestinien paraît aujourd’hui illusoire. Imad le chauffeur de taxi allume une nouvelle cigarette : « Abou Mazen [nom de guerre de Mahmoud Abbas NDLR] ne peut même pas faire la paix ici dans ce camp. Pensez-vous vraiment qu’il peut faire la paix au Proche-Orient ? »
Le camp d’Al-Amari a beau être situé en zone A (20 % du territoire de la Cisjordanie) sous contrôle administratif et sécuritaire palestinien l’armée israélienne y réalise souvent des incursions inopinées pour arrêter des réfugiés soupçonnés de terrorisme. « Il n’y a pas de paix ici souligne le vieux Amiad. L’armée israélienne vient quand elle le souhaite et arrête des gens sous prétexte que ce sont des terroristes. »

« La vie est bien meilleure ici qu’à Gaza »

Derrière lui collés au mur des portraits de « martyrs » du camp d’Al-Amari à côté de la mosquée d’Al-Aqsa à Jérusalem ainsi que des photos de jeunes combattants les armes à la main purgeant de longues peines de prison en Israël. « Celui-ci ne portait pas d’armes. La plupart de ces portraits sont passés par Photoshop » assure Amiad. « Pour Israël tous les Palestiniens de Cisjordanie sont des terroristes. Mais venez voir par vous-mêmes : qui sont les terroristes ? Qui a des armes à la main ? Qui colonise autour de nous ? »
À l’évocation du nom « Israël » le visage d’Oussama se ferme. Le jeune homme de 25 ans qui passait par là resserre immédiatement autour de sa tête la capuche de son sweat-shirt. Originaire de la bande de Gaza l’homme à la barbe fournie a bénéficié il y a dix mois d’une autorisation israélienne d’un jour pour se rendre en Cisjordanie. Il n’en est jamais reparti. « La vie est bien meilleure ici qu’à Gaza où il n’y a aucun travail » affirme-t-il malgré les conditions spartiates du camp.
Depuis le mois de juin Oussama s’est improvisé revendeur de toute sorte de marchandises. Il s’en sort plus qu’honorablement avec un pécule de 200 shekels (48 euros) par jour. Il n’attend plus que sa femme originaire de la ville de Jéricho en Cisjordanie mais habitant Gaza le rejoigne à Al-Amari. Mais frémit à l’idée d’être arrêté par l’armée israélienne et renvoyé manu militari. « Je ne veux plus voir Gaza » insiste-t-il au sujet de la minuscule bande de territoire dirigée par le Hamas mais soumise à un double blocus israélien et égyptien. L’appel à la prière du muezzin résonne dans les rues. Assurément Oussama semble décidé à profiter de la vie en Cisjordanie. Même dans un camp de réfugiés.

http://www.lepoint.fr

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