Urgent

Fri 20-September-2024

Journée noire pour la Palestine – Silence pour Gaza poème de Mahmoud Darwich

dimanche 22-juillet-2018

Mahmoud Darwish parle dans ce poème de la résistance de la population de Gaza dans les premières années de l’occupation (1967-1974).
Elle s’est ceinte d’explosifs et elle éclate ! Va-t-elle mourir ? S’est-elle suicidée ? Non non. C’est la manière de Gaza d’annoncer son imprescriptible droit à la Vie.
Voilà quatre ans que la chair de Gaza vole en éclats. Sorcellerie magie ? Non non. C’est l’arme avec laquelle Gaza s’acharne à défendre à l’usure son existence !
Voilà quatre ans que l’ennemi épaté dans ses rêves béat dans sa passion d’amoureux fait sa cour au temps… Seulement à Gaza impossible ! Elle lui est si peu apparentée et elle colle à ses adversaires ! Elle est une île cette Gaza ! A chaque explosion – et elles n’arrêtent pas- le visage d l’ennemi est lacéré ses rêves se fissurent et le voici inquiet du temps qui passe car à Gaza le temps est un autre temps. Le temps de Gaza n’est pas neutre il n’envoûte pas le monde de froide impassibilité mais contre le réel il se heurte et il explose ! Le temps là-bas ne transporte pas les enfants de l’enfance à la vieillesse mais d’un bond dès leur premier choc avec l’ennemi il en fait des hommes.
A Gaza voyez-vous le Temps n’est pas à la détente mais à l’affrontement. En plein midi on y brûle. Car à Gaza les valeurs sont tout autres tout autres tout à fait autres que les nôtres. Au fait la seule valeur de l’homme réduit par une conquête n’est-elle pas sa force de résistance à l’occupation ? Or c’est à cela seul que l’on s’exerce là-bas à Gaza ! Elle s’est accoutumée à cette seule et grande et dure valeur point apprise dans des livres ou dans des cours accélérés ni aux trompettes et aux grosses caisses des propagandes ni au son des hymnes patriotiques ! Toute seule par sa propre expérience et par son labeur pas pour la « montre » pas pour la parade ! Non Gaza n’a pas de quoi se vanter de ses Armées ou de sa Révolution ou de son Budget. Elle n’a pas à exposer ses chaires puantes et volontairement elle répand son sang. Gaza savez-vous n’est pas douée pour les discours son pharynx ne vaut rien c’est par les pores de la peau qu’elle crie sang et eau et feu !
Aussi l’ennemi la hait-il tant et tant d’elle il a peur qu’il ira bien jusqu’au meurtre jusqu’au crime par noyades sous la mer et sous les sables e dans les baquets de sang !
Aussi ses proches et ses amis l’aiment-ils avec jalousie avec effroi ! Car Gaza c’est la leçon sauvage c’est l’étendard levé devant tous indistinctement ennemis ou amis !
Elle n’est point Gaza la plus belle des cités…
Elles ne sont point ses plages les plus riantes des plages arabes.
Elles ne sont point meilleures ses oranges que toutes celles du Bassin méditerranéen.
Elle n’est pas la plus cossue d’entre les villes Gaza ! (Du poisson des oranges du sable des tentes frémissantes sous le vent des denrées de contrebande et des bras des bras à vendre à qui veut en acheter !).
Elle n’est pas non plus la plus délicate ni la plus imposante mais elle vaut le poids d’or de l’histoire d’une nation entière – parce que c’est elle la plus laide aux yeux de l’ennemi et la plus miséreuse la plus loqueteuse et la plus méchante ! Et parce qu’elle est parmi nous celle qui a su troubler toute euphorie et toute quiétude ! et parce qu’elle est un cauchemar et que ses oranges sont piégées ses enfants sans enfance ses vieillards sans vieillissement ses femmes sans plaisirs ! Telle est Gaza la plus belle la plus sereine la plus cossue la plus digne parmi nous d’être aimée à la folie !
Comme nous serions méchants si nous cherchions chez elle des poèmes ! Gaza de grande beauté ne la déparons pas elle qui n’a point eu de poètes à l’heure où nous nous croyions fichtre et avec quelle joie quand l’ennemi nous permettait de chanter contre lui comme des vainqueurs !…puis les poèmes ont séché sur nos babines tandis que sous nos yeux l’ennemi achevait de construire ses villes ses fortifications ses routes !…
Comme nous serions méchants pour Gaza si nous en faisions une ville mythique ! Nous la haïrions trop quand nous la verrions si petite ville et si pauvre ! (Et si résistante non ?)
Furieux contre toute la fabrique des mythes nous briserions nos derniers miroirs dans un long gémissement monté de notre ultime réserve de fierté ! C’est alors elle que nous maudirions refusant de nous révulser contre notre propre image !
Comme nous serions méchants pour Gaza si nous la portions aux nues. Nous nous prendrions pour elle d’une passion et passionnément nous serions à l’attendre. Or Gaza ne viendra pas à nous… Gaza ne nous sauvera pas elle n’a ni cavalerie ni avions ni baguette magique ni bureaux dans les capitales. Elle se libère elle-même tout à la fois de nos beaux langages… et de ses conquérants. Et si au coin d’un rêve un instant nous la rencontrons peut-être ne nous reconnait-elle pas puisqu’elle est née du Feu et nous d’Attente et de Pleurs.
Pas d’énigme dans le secret de la résistance. Elle est populaire voilà tout. (Ce qu’elle veut c’est expulser l’ennemi hors de ses propres habits.) Et la résistance adhère à la population comme la peau aux os. Nul n’y est l’élève et l’autre le maître.
La résistance ne s’est pas à Gaza institutionnalisée !
La résistance à Gaza n’a pas pris pignon sur rue.
Elle n’est parrainée par personne ni ne lie son destin à des listes de signatures ou des empreintes digitales.
Que lui importent son nom ses traits sa voix ? Elle ne se prend pas pour l’inévitable sujet des bulletins d’information. Elle n’est pas photogénique elle ne se farde pas pour les photographes elle n’a pas en travers de sa figure le sourire « Colgate ».
Elle n’en veut pas. Nous non plus.
Les plaies de Gaza ne serviront pas de chaires de prédication ! Sa beauté veut que nous ne parlions pas trop d’elle que nous ne jetions pas dans la fumée de ses rêves l’encens de nos chansons de femmes !
Donc quelle mauvaise affaire pour nos courtiers et nos croupiers mais quel trésor de l’esprit quelle inestimable farce morale pour tous les Arabes !
Et nos exclamations sur la splendeur de Gaza ne l’effleurent même pas rien ne la distrait rien ne détourne son poing de boxer l’ennemi en plein visage !
Comment sera le gouvernement de l’Etat palestinien que tout prochainement nous établirons sur la côte orientale de … la planète Mars (aussitôt terminée son exploration !) comment on répartira les sièges du Conseil national palestinien rien de tout ça ne la préoccupe mais de toutes ses forces elle s’arc-boute dans son refus. Affamée elle refuse dispersée elle refuse embarbelée elle refuse mise à mort elle refuse.
Peut-être – une mer tumultueuse peut bien engloutir une ile minuscule – l’ennemi vaincra-t-il Gaza. Peut-être la décapiteront-ils de tous ses arbres…
Peut-être sèmeront-ils de leurs roquettes les ventres des enfants et des femmes à Gaza. Et peut-être l’asphyxieront-ils sous la mer et sous les sables et dans les baquets de sang !
Pourtant :
Jamais elle ne se gargarisera de mensonges.
Ni ne dira aux conquérants : Oui !
Ni ne cessera d’exploser.
Va-t-elle mourir ?
S’est-elle suicidée ? Non non. C’est la manière de Gaza d’annoncer son imprescriptible droit à la vie…
Mahmoud Darwish parle dans ce poème de la résistance de la population de Gaza dans les premières années de l’occupation (1967-1974).
Extrait de la « Chronique de la tristesse ordinaire » publié à Beyrouth en 1974. Les éditions du Cerf 2009.

Lien court:

Copied