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Images histoire et identité fragmentées en ­Palestine

mardi 28-novembre-2017

La Palestine s’interroge durant sept jours de projections à Genève et Lausanne. Rencontre éclairante avec le ­cinéaste Mohanad Yaqubi.

Le cinéma palestinien dispose depuis six ans de son festival qui s’étend désormais de Genève à Lausanne durant une semaine du 23 au 29 novembre. Et à chaque nouvelle édition «Palestine: Filmer c’est exister» réaffirme la pertinence de son intitulé. Cette année avec un ­focus sur le cinéma révolutionnaire des années 1970 et un film en particulier: Off Frame AKA Revolution Until Victory (­samedi au Spoutnik). Un documentaire où Mohanad Yaqubi réunit des extraits de films produits par l’Unité du cinéma ­palestinien de l’OLP mais issus aussi d’autres sources pour une méditation passionnante sur la représentation d’un peuple encore en quête de son identité.

En 1948 «le peuple juif rejoint la fiction et le peuple pa­lestinien le documentaire» dit Godard convoqué via une séquence de Notre musique. «Les juifs inventent un Etat basé sur une topographie mythologique définie par d’anciens textes re­ligieux – c’est un peu comme Le Seigneur des anneaux!» para­phrase Mohanad Yaqubi. Alors que les Palestiniens vont s’approprier leur image bien plus tard après la Guerre des Six Jours (1967) en filmant la résistance armée des fedayins.

Au premier regard ces films militants relèvent de la pure pro­pagande. Mais ils racontent aussi une autre histoire selon le cinéaste: «J’ai coupé la voix off composée de déclarations idéologiques dictant la lecture des images. J’ai vu alors des gens qui se savaient invisibles et qui ont utilisé la caméra comme une arme pour se construire une identité. Ce n’était pas seulement une lutte de libération mais aussi de représentation.»

Une révélation pour le réalisateur qui ignorait tout de ces films. Il a aussi découvert leur ancrage dans le cinéma politique des années 1960-1970 écho des mouvements de contestation de l’époque. En témoi­gnent dans Off Frame des films tournés en Palestine par Johan van der Keuken Koji Wakamatsu et Masao Adachi ou Jean-Luc Godard – Jusqu’à la victoire ­projet avorté du Groupe Dziga Vertov devenu Ici et Ailleurs.

Mohanad Yaqubi connaissait pourtant Mustafa Abu Ali cofondateur de l’Unité du cinéma de l’OLP et auteur de l’emblématique They Do Not Exist. Une réponse ironique à une provocation de Golda Meir niant l’existence des Palestiniens. Politique et représentation s’avèrent souvent liées souligne le cinéaste: «L’occupation découle déjà de l’invisibilité des Palestiniens. L’imagerie orientaliste des XVIIIe et XIXe siècles figeant ce pays au temps de Jésus a con­tribué à créer en Europe l’idée d’une terre sans population. Une illusion sur laquelle s’est appuyé le sionisme.»

Il faudra huit ans au réalisateur pour rassembler ces bandes disséminées aux quatre coins du monde dans des ambassades associations d’étudiants archi­ves de partis communistes ou réseaux internationalistes. Des films perdus? Plutôt oubliés: «Ils sont accessibles pour celui qui les cherche c’est leur mémoire qui a été perdue après les accords d’Oslo en 1993. L’histoire palestinienne n’est pas un flux continu. Il y a eu des ruptures en 1948 1967 1982 etc. A chaque fois le passé est effacé. Or l’in­dividu construit son identité à ­travers une mémoire collective. Si elle est incomplète comment comprendre le présent?»

En réhabilitant ce cinéma ­politique Mohanad Yaqubi en ­appelle donc à rétablir le continuum historique. «Ces films parlent d’une révolution qui n’a jamais abouti. On ne peut pas les classer aux archives parce qu’ils incarnent toujours la résistance et les espoirs palestiniens. Mais ces images de combattants ne correspondent pas au récit politique actuel qui repose sur l’image de victimes à secourir.» Elles mettent ainsi en lumière une identité fragmentée: «Après 1948 celle-ci s’est construite à l’étranger dans les camps de réfugiés sur la revendication du droit au retour. La population des territoires occupés ne se pose pas les mêmes questions son combat ce sont les droits civiques.»

Off Frame aboutit dès lors à une fin forcément ouverte dans une école de Ramallah qui renvoie à une scène similaire des années 1970. Un demi-siècle plus tard le discours doctrinaire de l’institutrice reste le même. «C’est un commentaire sur l’importance de l’éducation. On y entend une rhétorique révolutionnaire devenue creuse dans la situation actuelle. Il y a une confusion qui est celle de ma ­génération face aux questions politiques. Comment donner du sens aujourd’hui à cet héritage révolutionnaire?»

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