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Récits de tortures dans les prisons d’Israël

mardi 29-janvier-2019

22.01.2019 – Alors qu’Israël se prépare à aggraver les conditions d’incarcération des prisonniers palestiniens nous avons interrogé six anciens détenus sur leurs expériences.
Au début du mois le ministre de la Sécurité publique d’Israël Gilad Erdan a annoncé que la « la fête est finie » et qu’il projetait « d’aggraver » les conditions déjà terribles des prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes.
Selon le groupe de défense des droits des prisonniers palestiniens Addameer il y aurait près de 5.500 prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes dont 230 enfants et 54 femmes. 481 prisonniers sont détenus sans jugement selon une pratique israélienne illégale appelée « détention administrative ».
S’adressant aux journalistes le 2 janvier Erdan a révélé certains aspects de son plan mais un contexte sinistre était absent de l’histoire.
Le ministre a déclaré que les prisonniers se verraient refuser le “droit de cuisiner” sans toutefois mentionner que de nombreux prisonniers en particulier au cours de la première étape de leur détention sont torturés et se voient totalement refuser la nourriture. “Le plan prévoit également d’empêcher les membres de la Knesset de rendre visite aux détenus palestiniens » a ajouté Erdan sans toutefois mentionner que des centaines de prisonniers palestiniens se voient déjà interdire l’accès à un avocat et aux visites de leur famille.
Il n’y a aucune raison de douter des propos du ministre israélien quand il promet d’aggraver les conditions de détention des prisonniers palestiniens. Cependant les conditions horribles dans lesquelles sont détenus des milliers de Palestiniens dans les prisons israéliennes – qui constituent en soi une violation de la Quatrième Convention de Genève – en sont déjà à un stade qui ne peut qu’être qualifié d’inhumain dans la mesure où elles ne respectent pas les normes minimales établies par le droit humanitaire et international.
Personne n’est aussi qualifié pour décrire les conditions de détention dans les prisons israéliennes que les prisonniers palestiniens qui ont subi toutes les formes de torture physique et psychologique et qui ont passé des années parfois des décennies à défendre leur humanité à chaque heure de chaque jour.
Nous avons parlé à six prisonniers libérés dont deux femmes et un enfant qui ont partagé leurs histoires avec nous dans l’espoir que leurs témoignages aident le monde à comprendre le véritable contexte du dernier projet d’Erdan.

« Ils ont tué mon chat »
Wafa’ Samir Ibrahim al-Bis

Je n’avais que 16 ans lorsque j’ai décidé de porter une ceinture d’explosifs et de me faire exploser parmi les soldats de l’occupation israélienne. C’était tout ce que je pouvais faire pour venger Mohammed al-Durrah. Quand je l’ai vu se blottir aux côtés de son père alors que les soldats les arrosaient tous les deux de balles je me suis sentie impuissante. Ce pauvre enfant. Mais j’ai été arrêtée et ceux qui m’ont aidé à m’entraîner pour ma mission ont été tués trois mois après ma détention.
J’ai été torturée pendant des années à l’intérieur de la tristement célèbre Cellule 9 une chambre de torture qu’ils destinent à des gens comme moi. J’ai été pendue au plafond et battue. Ils m’ont mis un sac noir sur la tête pendant qu’ils me battaient et m’interrogeaient pendant plusieurs heures et jours. Ils ont lâché des chiens et des souris dans ma cellule. Je ne pouvais pas dormir pendant des jours d’affilée. Ils m’ont mis à nue et m’ont laissée comme ça pendant des jours. Ils ne m’ont pas permis de rencontrer un avocat ni même de recevoir la visite de la Croix-Rouge.
Ils m’ont fait dormir sur un vieux matelas sale et dur comme du bois. J’ai été en isolement cellulaire pendant deux ans. Je me sentais comme si j’étais enterrée vivante. Une fois ils m’ont pendue sans arrêt pendant trois jours. J’ai crié aussi fort que je pouvais mais personne ne voulait me détacher.
Quand j’étais à la prison de Ramleh je me sentais tellement seule. Puis un jour j’ai vu une petite chatte marchant dans les cellules alors j’ai commencé à lui jeter de la nourriture pour qu’elle soit mon amie. Finalement elle a commencé à entrer dans ma cellule et elle est restée avec moi pendant des heures. Quand les gardes ont découvert qu’elle me tenait compagnie ils lui ont tranché la gorge devant moi. J’ai pleuré pour elle plus que j’ai pleuré pour mon propre destin.
Quelques jours plus tard j’ai demandé à la gardienne une tasse de thé. Elle est venue et m’a dit : « Tends ta main pour attraper la tasse ». Je l’ai fait mais au lieu de cela elle a versé de l’eau bouillante sur ma main. Des brûlures au troisième degré dont j’ai toujours les marques. J’ai besoin d’aide pour me soigner. Je pleure pour Israa ‘Ja’abis (photo ci-dessus) dont le corps entier a été brûlé et qui reste pourtant dans une prison israélienne.
Je pense souvent à toutes les prisonnières que j’ai laissées derrière moi.

« Pas de mots »
Sana’a Mohammed Hussein al-Hafi

En mai 2015 je voulais rendre visite à ma famille vivant en Cisjordanie . Ils me manquaient terriblement car je ne les avais pas vus depuis des années. Mais dès que je suis arrivée à Beit Hanoun (passage d’Eretz) j’ai été arrêtée par des soldats israéliens.
Mon calvaire a commencé vers 7h30 ce matin-là. Les soldats m’ont fouillée de façon très humiliante. Ils ont sondé chaque partie de mon corps. Ils m’ont obligée à me déshabiller complètement. Je suis restée dans cet état jusqu’à minuit.
Finalement ils ont enchaîné mes mains et mes pieds et m’ont bandé les yeux. J’ai prié l’officier responsable de me permettre d’appeler ma famille car ils attendaient toujours de l’autre côté du passage. Les soldats ont accepté à condition que j’utilise la phrase exacte : « Je ne rentre pas à la maison ce soir » et rien de plus.
Puis d’autres soldats sont arrivés Ils m’ont jetée à l’arrière d’un gros camion militaire. J’ai senti la présence de nombreux chiens et hommes autour de moi. Les chiens ont aboyé et les hommes ont ri. J’avais si peur.
J’ai été emmenée dans l’enceinte militaire d’Ashkelon où j’ai été à nouveau fouillée de la même manière dégradante et placée dans une très petite cellule faiblement éclairée. Ça sentait mauvais. Il faisait très froid même si c’était le début de l’été. Le lit était minuscule et sale. Les couvertures aussi. Les soldats ont pris toutes mes affaires y compris ma montre.
Je ne pouvais pas dormir car j’étais interrogée toutes les quelques heures. Je restais assise sur une chaise en bois pendant de longues périodes pour être soumise à la même routine remplie de cris d’insultes et de propos vulgaires. Ils m’ont gardée à Ashkelon pendant sept jours. Ils m’ont permis de prendre une douche une fois avec de l’eau très froide.
La nuit j’entendais des voix d’hommes et de femmes se faire torturer des cris de colère en hébreu et en mauvais arabe les portes claquer d’une manière très inquiétante.
À la fin de cette semaine j’ai été transférée à la prison HaSharon où j’ai été soulagée d’être avec d’autres prisonnières palestiniennes des mineurs des mères comme moi et des vieilles dames.
Tous les deux ou trois jours on me sortait de ma cellule pour un nouvel interrogatoire. Je partais à l’aube et revenais vers minuit. De temps en temps on me mettait dans un grand camion militaire avec d’autres femmes et on nous emmenait devant un tribunal militaire. Nous avons été enchaînés individuellement ou les uns aux autres. Nous attendions pendant des heures juste pour nous entendre dire que la session du tribunal avait été reportée à une date ultérieure.
Dans nos cellules nous avons lutté pour survivre dans des conditions dures et de négligence médicale. Une fois une prisonnière âgée s’est effondrée. Elle était diabétique et ne recevait aucun soin médical. Nous avons toutes commencé à crier et à pleurer. Elle a survécu.
J’ai fait 10 mois de prison. Lorsque j’ai finalement été libérée j’ai été placée en résidence surveillée à Jérusalem pour une autre période de cinq mois. Ma famille me manquait. Je pensais à eux à chaque heure de chaque jour. Aucun mot ne peut décrire à quel point cette expérience a été pénible de perdre sa liberté de vivre sans dignité et sans droits.
Pas de mots.

« Le jour où j’ai vu ma mère »
Fuad Qassim al-Razam

J’ai subi des tortures à la fois psychologiques et physiques dans les prisons israéliennes qui m’ont obligé à avouer des choses que j’ai faites ou que je n’ai pas faites.
La première phase de la détention est généralement la plus difficile car la torture est la plus intense et les méthodes les plus brutales. On m’a interdit de manger et de dormir et j’ai été suspendu au plafond pendant des heures. Parfois je me retrouvais nu sous la pluie attaché à un poteau avec un sac sur la tête. Je restais dans cet état toute la journée tout en étant parfois frappé frappé et frappé avec des bâtons par des soldats.
On m’a interdit de voir ma famille pendant des années et quand j’ai finalement été autorisé à voir ma mère elle était mourante. Une ambulance l’a transportée jusqu’à la prison de Beir Al-Saba et on m’a emmené la voir enchaîné. Elle était en très mauvaise santé et ne pouvait plus parler. Je me souviens des perfusions qui sortaient de ses mains et de son nez. Ses bras étaient meurtris et bleus aux endroits où les aiguilles étaient entrées dans sa peau fragile.
Je savais que ce serait la dernière fois que je la verrais aussi je lui ai lu un passage du Coran avant qu’ils ne me ramènent dans ma cellule. Elle est morte 20 jours plus tard. Je sais qu’elle était fière de moi. Lorsque j’ai été libéré je n’ai pas été autorisé à lire des versets du Coran près de sa tombe car j’ai été déporté à Gaza immédiatement après l’échange de prisonniers en 2011.
Un jour j’irai sur sa tombe. »

« Ils ont brulé mes organes génitaux »
Mohammed Abul-Aziz Abu Shawish

J’ai été arrêté par Israël sept fois ; la première fois j’avais six ans. C’était en 1970. Ensuite ils m’ont accusé d’avoir jeté des pierres sur des soldats israéliens. J’ai été arrêté à nouveau quand j’étais adolescent. Cette fois j’ai été battu et un officier israélien a allumé une allumette sous mes parties génitales. Ils m’ont déshabillé et ont mis mes sous-vêtements dans ma bouche pour étouffer mes cris. J’ai ressenti de la douleur lorsque j’ai essayé d’utiliser les toilettes pendant plusieurs jours après cet incident.
« Mon interrogatoire a eu lieu à la prison Maskoubiah de Jérusalem plus précisément dans la cellule 4. Après des jours de torture physique de privation de sommeil et de sévices corporels sévères ils ont emprisonné toute ma famille – mon père ma mère et mes frères et sœurs. Ils m’ont dit que ma famille était retenue captive à cause de moi et qu’elle ne serait libérée que si j’avouais mes crimes. Ils m’ont insulté avec des injures que je ne peux pas répéter. Ils ont menacé de faire des choses indicibles à ma mère et à mes sœurs.
« Après chaque séance de torture je retournais dans ma cellule pour pouvoir enfin trouver le sommeil. Mais ensuite les soldats me réveillaient en me frappant au visage en me donnant des coups de bottes et en me frappant au ventre.
« J’aime ma famille et quand ils l’empêchaient de me rendre visite cela me brisait le cœur. »

« Les prisonniers sont des héros »
Jihad Jamil Abu-Ghabn

En prison mes geôliers ont tenté de briser mon esprit et de m’enlever ma dignité non seulement par la violence mais aussi par des techniques spécifiques destinées à m’humilier et à me démoraliser.
Souvent ils me mettaient la tête dans un sac à l’odeur repoussante ça me faisait vomir à l’intérieur du sac. Lorsqu’ils le retiraient j’avais le visage enflé et très mal à la tête à cause de la privation intermittente d’oxygène.
Tout au long de mon interrogatoire (qui a duré des mois) ils m’ont fait asseoir pendant des heures sur une chaise à la longueur des pieds est inégale. Je n’ai jamais pu trouver une position confortable et j’ai depuis des douleurs permanentes au dos et au cou.
Parfois ils faisaient entrer des « prisonniers » dans ma cellule qui prétendaient être de véritables membres de la résistance palestinienne. J’ai découvert plus tard que ces prisonniers étaient en fait des collaborateurs qui essayaient de me faire avouer. Nous les appelions assafir (oiseaux).
Les prisonniers palestiniens sont des héros. Aucun mot ne peut décrire leur ténacité légendaire et leurs insondables sacrifices.

Source : Al Jazeera

Traduction : MR pour ISM

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