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Sarit Michaeli : Le conflit israélo-palestinien a causé beaucoup de haine et d’animosité

dimanche 30-décembre-2018

Sarit Michaeli est chargée de plaidoyer international au sein de B’Tselem une organisation israélienne de défense des droits de l’Homme opposée à l’occupation israélienne dans les Territoires palestiniens dont elle dénonce régulièrement les abus. Elle revient pour Paris Match sur les tensions qui règnent depuis des mois.

Paris Match. Il y a un regain de violence des manifestations le long de la frontière avec Gaza multiplication des attaques… Craignez-vous que la situation n’empire encore ?

Sarit Michaeli. De ma perspective de citoyenne israélienne comme de celle de mes collègues palestiniens nous avons l’impression d’être toujours au bord d’un conflit armé avec Gaza comme en 2014 qui était absolument horrible. Il a duré 50 jours et 2500 Palestiniens ont été tués dont la moitié ne participait pas aux hostilités.
C’est un problème très sérieux car les causes qui pourraient mener à l’explosion de la situation sont toujours présentes et ne sont pas prêtes de cesser. Une des principales causes est le blocus imposé par Israël sur Gaza le fait que presque tous les Gazaouis sont complètement incapables de partir ou de venir. Aucune entreprise ne peut se développer toute l’économie s’est effondrée car vous ne pouvez rien importer ou exporter à part des produits très précis il n’y a pas d’industrie ou d’agriculture développée. Certains facteurs jouent également comme le rôle de l’Egypte ou l’Autorité palestinienne. Cette situation qui n’est pas résolue fait que nous sommes au bord de la guerre depuis plus de 10 ans.
En mars les manifestations près de la frontière à Gaza ont été très violentes dans la réponse qui a été faite face à une majorité de manifestants que je qualifierais de non-violents. Certains l’étaient mais tout est une question de perspective : pour certains Israéliens des Palestiniens jetant de simples pierres présentent un danger une violence qui doit être arrêtée. Et beaucoup d’Israéliens sont d’accord avec la position du gouvernement sur l’utilisation de balles réelles. A nos yeux il est totalement interdit d’utiliser des balles réelles face à des gens non armés.

Avant les manifestations organisées en réponse à la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël les tensions semblaient déjà fortes.

Depuis 2015 on constate une augmentation des attaques au couteau en Cisjordanie occupée qui a mené à une intensification des ripostes israéliennes qui sont souvent très agressives. On a l’impression que toute la situation peut dégénérer en un instant et mener à un conflit encore plus meurtrier.
Mais je ne pense pas que ça soit une fatalité cela arrive à cause des décisions de notre gouvernement comme le blocus sur Gaza. La réponse d’un point de vue de défense des droits humains serait de demander l’application des lois humanitaires internationales à Gaza.

« Le débat politique en Israël ne se fait qu’entre la droite et l’extrême droite »

Et politiquement ?
Du côté politique il est assez ironique de remarquer que le gouvernement israélien est entré dans une sorte de négociation indirecte avec le Hamas en charge à Gaza ce qui l’arrange plutôt que d’essayer d’avoir des discussions de fond. Mais le blocus à Gaza doit être levé en dépit de ces questions politiques : punir deux millions de personnes pour une élection qui a eu lieu en 2006 et a porté le Hamas au pouvoir alors que beaucoup d’entre eux n’avaient pas l’âge de voter n’est pas acceptable.
Mais malheureusement ces décisions qui ont conduit Gaza au bord de la crise humanitaire ne sont pas remises en questions à cause d’un verrouillage politique.
Je trouve cela choquant de savoir qu’à moins d’une heure où je vis à Tel Aviv des gens souffrent horriblement leurs vies sont dévastées leurs futurs également. Et le fait que la majorité des Israéliens l’accepte pour des raisons sécuritaires c’est dur à vivre. Et ce n’est évidemment pas bon pour les Israéliens non plus que cette situation développe des groupes extrémistes en raison de l’absence d’espoir ou de futur.
Ce ne sont que des décisions à courte portée car le débat politique en Israël ne se fait qu’entre la droite et l’extrême droite. Toute décision qui pourrait être considérée comme raisonnable comme une levée même partielle du blocus ne pourrait pas rassembler un consensus politique.

« Pour beaucoup de Palestiniens les accords d’Oslo n’ont finalement pas arrangé la situation mais l’ont empirée »

La société israélienne a-t-elle accepté cette situation qui dure depuis trop longtemps ?
Je pense que pour une partie des Israéliens il y a une sorte de déshumanisation des habitants de Gaza qui sont considérés comme des terroristes. Ce conflit sur le long terme a causé beaucoup de haine et d’animosité.

Avez-vous espoir que le blocage politique puisse être levé dans les années à venir ?

Heureusement pour moi mon rôle n’est pas de trouver un accord pour la paix B’Tselem n’a pas cette vocation. On nous a souvent dit qu’à cause de pourparlers de paix il valait mieux ne pas évoquer les violations des droits humains de la justice. Mais il est très clair pour nous que cette situation ne fonctionne pas. Premièrement car il n’y a aucun pourparlers de paix auxquels sont opposés une grande partie du gouvernement. Les pourparlers de paix sont une excuse pour la communauté internationale de ne pas se pencher sur la question de l’appropriation des territoires palestiniens au profit de colonies israéliennes. Deuxièmement mettre en pause la question des droits humains pendant des pourparlers de paix ne mène qu’à une méfiance envers le processus.
Pour beaucoup de Palestiniens les accords d’Oslo n’ont finalement pas arrangé la situation mais l’ont empirée. Leurs droits n’ont pas été protégés : on leur a dit qu’il fallait attendre le statut final qui n’est toujours pas arrivé. Sur place la réalité mise en fonction il y a des années est problématique et discriminatoire : elle aurait pu être valable pendant une petite période elle n’a pas été conçue pour durer. Ils voient littéralement leurs terres être appropriées morceau par morceau vivent sous une occupation quotidienne et ce n’est pas que pour les Palestiniens vivant dans les petits villages reculés : dans les grandes villes en théorie l’Autorité palestinienne a le contrôle. Mais si vous êtes arrêtés vous êtes conduits vers un tribunal militaire israélien. Il est impossible de voyager sans franchir une frontière israélienne : pour faire quoi que ce soit vous êtes soumis aux restrictions israéliennes.
De mémoire je pense que nous sommes au pire de la situation. Le problème est qu’il n’y a aucun espoir d’évolution des deux côtés : on a réalisé que la colonisation israélienne et les activités qui en découlent ne pourraient être arrêtées par aucun acteur qu’elles sont même renforcées législativement. Que ce soit politiquement diplomatiquement économiquement Israël est tellement puissant et les Palestiniens si affaiblis qu’une négociation de paix est inutile pour Israël. Pourquoi négocieraient-ils deux Etats ? Ils n’ont aucun avantage à tirer. Nous vivons actuellement dans un seul Etat où les Israéliens et les Palestiniens ont des pouvoirs très différents. Les Palestiniens qu’ils vivent en Cisjordanie occupée à Gaza ou même à Jérusalem-Est n’ont aucun moyen d’influencer les décisions qui les concernent car ils ne votent pas pour les élections israéliennes.

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