Urgent

Fri 20-September-2024

Exclusif-Ismaël Haniyeh : la marche pour le retour peut devenir une troisième intifada

mercredi 18-avril-2018

Le chef du Hamas depuis mai 2017 nous a accordé une interview dans son fief de Gaza.
L’homme fort de Gaza aux commandes de ce territoire peuplé de 2 millions de Palestiniens depuis plus de 10 ans a été placé en janvier sur la liste noire des terroristes par le Département d’Etat américain. Le chef du bureau politique du Hamas n’avait pas parlé à la presse française depuis 2008. Il s’exprime dans un entretien exclusif pour Paris Match.

Paris Match. Quelle est la situation à Gaza aujourd’hui ?
Ismaël Haniyeh. Après 11 ans de siège et trois guerres successives des tentatives de déstabilisation politique sécuritaire et des punitions collectives imposées par l’occupation israélienne la situation est dramatique notamment sur le plan humanitaire et économique. Nous faisons actuellement face à plusieurs crises : l’électricité est rationnée à quatre heures par jour au plus nous sommes à court d’argent et le versement des salaires a été suspendu par l’Autorité palestinienne. Ces conséquences humanitaires et économiques ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit bel et bien d’une seule et même épreuve : l’occupation et ses impacts sur Gaza. Chaque crise a pour but d’éloigner le peuple palestinien de la résistance mais il s’y accroche. Et continue de nous manifester un soutien fort et profond lors des élections locales ou générales et à d’autres niveaux.C’est un puissant levier pour que le Hamas reste aux côtés du peuple Palestinien à la pointe de la lutte contre l’occupant israélien.

-Quel est le but de la Marche pour le droit au retour ?
-Avec cette Marche qui va continuer grandir évoluer et se poursuivre jusqu’à l’anniversaire de la Nakba (l’exode palestinien de 1948 le 15 mai) le peuple exprime sa colère de manière pacifique et novatrice puisqu’il assiège ainsi l’assiégeant. Il manifeste pour sa survie et le respect de ses droits fondamentaux : il est en effet essentiel de contrecarrer la conspiration visant à ignorer le droit au retour et à « judaïser » Jérusalem pour en faire la capitale d’Israël et l’exclure du plan de résolution. La première et la deuxième génération n’ont jamais oublié et la troisième se prépare à lutter. Le message est clair : nous n’imploserons pas mais dirigeons notre colère contre l’occupant israélien. L’occupant israélien veut faire de la question palestinienne une question humanitaire. Cette occupation entraîne dans la réalité une érosion progressive de nos droits fondamentaux. C’est pourquoi notre peuple a décidé de revenir aux racines de la lutte : faire respecter le droit au retour sur ses terres et ne pas lâcher sur la question de Jérusalem. Le Hamas y contribue en travaillant avec toutes les factions et organisations palestiniennes afin que cette marche porte ses fruits. Mais cela reste une marche populaire et pacifique.

-Est-ce une troisième intifada ?
-Cette marche s’inscrit dans la continuité des précédentes intifadas. C’est une forme de résistance populaire qui peut se développer en une nouvelle intifada. Ça dépendra de la réponse des Israéliens notamment s’ils continuent à tuer des manifestants pacifiques.

-Comment passe-t-on de la lutte armée à cette forme de protestation ?
-Les résistances politique populaire diplomatique juridique et même armée se complètent. Notre peuple n’exclut aucune forme d’action à aucun moment. Il y a eu le soulèvement populaire de 1987 et la deuxième intifada au cours de laquelle la résistance populaire a fusionné avec la résistance armée. Sans aucun doute nous privilégions les méthodes pacifiques. Nous n’aimons pas les effusions de sang mais nous avons dû prendre les armes pour nous défendre contre un ennemi équipé d’armes de toutes sortes y compris de destruction massive interdites par les conventions internationales. Ils détruisent nos familles démolissent des villages et pratiquent des assassinats.

-Vous revenez d’Egypte où un régime militaire a succédé à vos alliés les frères musulmans. Quelles sont vos relations avec le régime du maréchal Sissi?
Notre sœur l’Egypte a toujours été à nos côtés pour soulager les souffrances de notre peuple.Les relations s’améliorent. C’est un pays très important dans la région et frontalier de la bande de Gaza avec lequel nous cherchons à établir une relation stratégique. Nous voudrions notamment que le poste frontière de Rafah soit ouvert 24 heures sur 24 pour les personnes et les marchandises plutôt que sporadiquement comme c’est actuellement le cas. Nous sommes conscients de l’étendue des défis dans la péninsule du Sinaï (où l’Egypte y combat une insurrection djihadiste) mais aussi de l’ampleur des besoins de notre peuple.

-Que prévoyez-vous en cas de transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem ?
-Cette annonce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ce qu’elle cache est plus dangereux et plus grand. C’est la politique du fait accompli. Ce transfert contraire aux résolutions internationales relatives au statut de la ville et contesté internationalement vise à entériner l’intégration de Jérusalem à l’État d’Israël. Ce n’est ni plus ni moins qu’une tentative de nous imposer un accord tronqué d’où seraient exclues cette question capitale ainsi que celle du droit au retour pour ne plus négocier que sur des points secondaires. Cette décision unilatérale des Etats-Unis fait désormais d’eux une partie au conflit et non plus un partenaire dans les négociations de paix comme ils le prétendaient. Le bluff de Washington ne trompe plus. Notre peuple brisera cette décision si elle s’exécute. Ce sera la meilleure raison de mettre fin à l’occupation.

-Mahmoud Abbas demeure en l’absence d’élections leader de l’Autorité palestinienne. Qu’en pensez-vous ?
-Dans un accord signé avec le Fatah en octobre nous avions insisté pour qu’un agenda électoral soit fixé avant fin 2018. Mais cette affaire prend du retard. Autrefois nous pensions qu’il était important d’organiser l’arène politique avant d’aller aux urnes. Ce retard et la crise actuelle rendent plus pressant notre appel à la tenue d’élections législatives présidentielles et nationales libres et équitables afin que le peuple choisisse ses représentants et son programme politique. Le retour à l’ordre et une transition sans heurts vers une nouvelle présidence ne sont possibles qu’à ce prix. Il appartient au peuple de désigner le ou les candidats à ce poste et la manière dont ils seront sélectionnés et départagés.

Lien court:

Copied